Y aurait-il des fondations pauliennes pour le futur concile?
- bohleremmanuel
- 28 juil. 2021
- 6 min de lecture
Article initialement publié le 22 novembre 2011 sur le blog collectif "Vatican II : Objectif 50 ans" dont les finalités étaient de préparer le Jubilé d'or de cet évènement majeur pour l'Eglise au XXème siècle, de promouvoir son histoire et ses textes.
Cet article tente de comprendre les liens existant entre l'importante décision du Saint-Père le 25 janvier 1959 et le dix-neuvième centenaire de la Lettre aux Romains.
La création de ce blog collectif se situait dans la dynamique de la Lettre apostolique "Porta Fidei" du pape Benoît XVI datant du 11 octobre 2011. Par cette Lettre était promulguée la prochaine "Année de la foi" qui devait s'ouvrir le 11 octobre 2012 en même temps que le Jubilé d'or de l'ouverture du Concile Vatican II.

Clôture de la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens
L’homélie de Monseigneur Antonio Bacci (1885-1970), lors de l’entrée en conclave a profondément orienté le futur pontificat de Jean XXIII. Le prélat ciblait trois questions essentielles : la paix entre les nations, la liberté de l’homme en générale et plus particulièrement religieuse, enfin une juste doctrine surtout face aux informations diffusées par les médias. Mais la question de fond demeure : est-ce que le Concile répond à ces attentes ?
Il est permis de dire que oui ! Le fait d’annoncer un Concile s’enracine en effet complètement dans les trois questions de Monseigneur Antonio Bacci !
LA GRAVE QUESTION DE LA LIBERTE
Le Concile répond de manière directe aux questions discernées lors de l’entrée du conclave.
Dans un article précédant commentant l’allocution du consistoire secret extraordinaire, nous avions mis en évidence qu’avant d’annoncer le concile pour l’Eglise Universelle, Jean XXIII avait opéré un discernement. Dans son analyse, il avait ciblé un problème fondamental récurent : Il discernait en fait une manifestation contemporaine de l’antique « péché originel ». C’est-à-dire une aliénation de la question de la liberté de l’homme, de son abus et de sa compromission. Cela, au profit de l’unique recherche et de satisfaction des biens matériels au sein du mouvement général appelé « progrès ».
Or, juste avant le consistoire secret extraordinaire, en célébrant la messe de clôture de la prière pour l’unité des chrétiens, Jean XXIII prononçait dans son homélie les paroles suivantes :
"…Il Nous est permis, non sans quelque difficulté il est vrai, d’apercevoir un plus vaste horizon, tout rouge du sang d’un grand nombre auxquels a été imposé le sacrifice de la liberté, aussi bien dans le domaine de la pensée que dans celui des activités civiques et sociales, en s’acharnant à leur interdire toute profession de leur foi religieuse.[1]"
Si par deux fois Jean XXIII a évoqué cette douloureuse question de la liberté et de sa dégradation, en mentionnant discrètement les persécutions de l’Eglise de Chine, il est alors logique d’en tirer cette conclusion: c’est en premier lieu sur le fond de ce grave mépris de la liberté dans le monde en général, et sur fond des graves persécutions de l’Eglise dans certains pays, qu’il souhaite un concile. Voilà la première et fondamentale motivation du concile, n’en déplaise à tous ceux qui s’imaginent encore aujourd’hui que c’est uniquement pour se rendre plus crédible aux yeux des nouveaux courants intellectuels et culturels de la postmodernité centrés en Europe occidentale.
De la sorte, la « mise à jour » n’est pas qu’une rupture pour faire plus « in » ; le concile ainsi fondé aura pour mission première une antique forme apologétique : défendre les hommes contre la manifestation post moderne de l’antique « péché originel ». Ou pour le dire autrement : un concile pour œuvrer concrètement en faveur de la liberté de l’homme.
LA QUESTION DE L'UNITE ET DE LA PAIX
C’est cette dégradation de la liberté de l’homme qui semble être alors le fond du problème de la paix si fragile dans le monde. Jean XXIII dit juste avant dans cette même homélie pour la messe de clôture de la Semaine de Prière pour l’unité des chrétiens :
"…Songez combien la parfaite unité de la foi et de la pratique de la doctrine évangélique serait une source de tranquillité et de joie pour le monde entier, dans la mesure du moins de ce qui est possible sur cette terre. Et ceci non seulement au service des grands principes d’ordres spirituel et surnaturel qui touchent chaque homme en vues de biens éternels dont le christianisme fût porteur au monde, mais encore des plus sûrs éléments de prospérité civile, sociale et politique pour chaque nation.[2]"
Pour Jean XXIII, il semble clair qu’œuvrer pour l’unité des chrétiens est ce qui garantit un bien, une paix durable, non seulement pour les croyants, mais pour ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne ! C’est audacieux, puisqu’il dit dans la phrase suivante :
« …Le premier fruit de cette unité est non seulement l’estime, mais encore le bon usage et la jouissance de la liberté, ce don précieux du Créateur et du Rédempteur des hommes.[3] »
Jean XXIII donne ici des finalités solides et précises au futur concile !
La dégradation de la liberté qui lui tient tellement à cœur aura pour remède un travail d’unité de la foi de la part des chrétiens et pour bénéfice une paix durable, non seulement pour les chrétiens mais pour tous ! La paix durable semble être avant tout une paix religieuse fondée sur la foi, au sein de laquelle la liberté religieuse est respectée !
On peut en déduire en second lieu que le Concile aura pour but d’œuvrer non seulement à l’unité de la foi (dimension doctrinale), mais en même temps en faveur d’un témoignage pour la paix entre les nations (message pour tous les hommes de bonne volonté) qui est fragile et menacée.
Voilà peut-être pourquoi Jean XXIII souhaite que le concile soit « œcuménique », en invitant les membres des autres confessions chrétiennes. Œuvrer pour l’unité de la foi sera un témoignage concret, pour le monde, de construction d’une paix durable entre les hommes. Si le concile a été « œcuménique », c’est en faveur de la paix ! Car Jean XXIII sait que la paix est fragile, et il l’exprime d’ailleurs dans cette même homélie :
"…Tenu à une grande réserve et à un sincère et profond respect à l’égard d’autrui, et avec l’intime espoir que la tempête se dissipera peu à peu, nous nous abstenons de toute précision quant aux idéologies, aux localités, et aux personnes.[4]"
Jean XXIII n’ose pas nommer la situation difficile de la Chine et d’autres pays bloqués derrière « rideau de fer », car il a conscience que cela pourrait aggraver la situation ; c’est un « silence diplomatique » hérité de son expérience de Nonce Apostolique. Mais en même, il œuvre pour la paix parce qu’il dénonce le mal mais ne condamne pas les persécuteurs. Au contraire, il fait acte de foi et de respect envers tous les hommes.
Pensons tout de même à l’impact médiatique de la célébration d’ouverture du 11 octobre 1962 et essayons de remettre ce témoignage dans le contexte mentionné : voilà qu’en pleine course aux armements, alors que la paix est très fragile entre les nations à cause de tensions internes de plus en plus grandes, alors que nous sommes à quelques mois de l’affaire des missiles de Cuba qui a failli provoquer la troisième guerre mondiale, près de 2400 évêques, issus du monde entier, de plusieurs races, langues et cultures, marchent et avancent ensemble sur plus de trois kilomètres, pour travailler à une œuvre commune ! Dans ce contexte géopolitique tendu, ce souvenir reste "médiatiquement" un geste fort pour la paix.
LES FONDATIONS PAULINIENNES DU CONCILE
En annonçant le concile juste après la messe de clôture de la Semaine de Prière pour l’Unité des chrétiens, Jean XXIII propose le principe fondamental du travail conciliaire : « affirmations doctrinales et de sages ordonnancements ». Alors le concile fera bien œuvre de travail doctrinal en faveur de l’unité de la foi et de la liberté de l’homme. Mais il fera également œuvre de « sages ordonnancements » en faveur de l’unité des chrétiens, des hommes et de la paix.
Tout un programme ! Mais n’est-ce pas un travail « paulinien » ? Surtout lorsque Jean XXIII écrit dans son homélie au cours de la messe :
"…Cette année, précisément a lieu la célébration du 19ème centenaire de l’Epître de saint Paul aux Romains. Oh quelle émotion, en relisant et en méditant ce document qui, du fond des premiers siècles de l’ère chrétienne, résonne jusqu’à nous ! C’est un poème grandiose et exaltant qui chante le triomphe de la foi, le triomphe de la liberté des âmes et de peuple, le triomphe de la paix.[5]"
On peut alors penser que Jean XXIII, en voulant le concile, souhaite l’orienter dans ces trois finalités décrites par la Lettre aux Romains : pour la foi, pour la liberté des chrétiens et des nations, pour la paix !
Pour revenir à l’homélie de Monseigneur Bacci, n’y a-t-il pas là un souhait qu’il adressait au nouveau pontife et que Jean XXIII s’est attaché à mettre en œuvre ?
Le génie de Jean XXIII a été de justement proposer un prochain concile, car en le proposant, ce n’est pas uniquement au souverain pontife qu’il revenait d’œuvrer pour les besoins de l’Eglise en ce temps, mais à l’Eglise entière !
Annoncer ainsi le projet du Concile dans ce contexte c'est amorcer un renouvellement ecclésiologique majeur !
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