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C'était l'année 59 ! (02)

Article initialement publié le 10 février 2012 sur le blog collectif "Vatican II : Objectif 50 ans" dont les finalités étaient de préparer le Jubilé d'or de cet évènement majeur pour l'Eglise au XXème siècle, de promouvoir son histoire et ses textes.


Cet article propose un commentaire de l'homélie de Jean XXIII pour la solennité de la Pentecôte (17 mai 1959) inaugurant la phase anté-préparatoire du concile Vatican II.


La création de ce blog collectif se situait dans la dynamique de la Lettre apostolique "Porta Fidei" du pape Benoît XVI datant du 11 octobre 2011. Par cette Lettre était promulguée la prochaine "Année de la foi" qui devait s'ouvrir le 11 octobre 2012 en même temps que le Jubilé d'or de l'ouverture du Concile Vatican II.



"La Gloire" (1667), Le Bernin, Basilique Saint Pierre de Rome



Oui l’Esprit Saint est bien à l’œuvre !

Je commence ainsi cet article face à nos « prophètes de malheurs », ceux de notre temps, qui aujourd’hui encore ont la prétention de répandre l’idée que l’Esprit Saint n’a pas soufflé au Concile et que ce dernier, au contraire, se sépare de la vraie foi provoquant ainsi l’effondrement de l’Eglise !

Or fort est de constater qu’en ce 17 mai 1959, Jean XXIII prononce une homélie en la solennité de la Pentecôte afin de rendre publique la commission qui aura pour mission de commencer la préparation du Concile. Le pape fera connaitre en outre avec le cahier des charges de cette dernière.

Mais dans cette homélie on voit se dessiner ce qui prendra corps tout au long de l’année 1959, et je dirai même ce qui adviendra dans l’œuvre du concile.


Jean XXIII, pape « liturgique » qui vie et enracine ses décisions dans l’année liturgique !

Dès le début de son homélie, dès le premier paragraphe, il opère une sorte de relecture de son pontificat. Cela fait sept mois qu’il est élu, juste le temps de vivre, les principales fêtes de l’année liturgique. Il montre combien ces fêtes sont sources de renouvellement, d’approfondissement et de sanctification pour lui-même et pour son ministère pétrinien. Il écrit au 4ème paragraphe :

« Dans la liturgie, chaque année, il est donné à nos yeux de revoir ces grands évènements ; il est donné à nos cœurs d’en goûter à nouveau la signification : c’est la revification de notre esprit dans la grâce qui nous sanctifie et nous élève.[1] »


Dans la paragraphe suivant, Jean XXIII expose une interprétation ecclésiale de la Pentecôte : cette dernière étant comme une « anamnèse » de l’Eglise.

Par cette célébration, il y a comme un plissement du temps entre le passé, le présent et l’avenir. C’est précisément la réforme liturgique de Vatican II qui introduira au sein de la messe, ce que l’on appelle « l’anamnèse » dont voici un exemple : « ...Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ».

A travers cette formule liturgique c’est toute l’expression de la notion théologique de « mémorial ». A savoir que l’on fait « mémoire » d’un évènement du passé, qui « s’actualise » dans le présent, et qui « ouvre » un avenir. Cette dimension d’anamnétique se trouve déjà clairement exprimée au sein de l’interprétation de la fête de la Pentecôte qu’en donne Jean XXIII. Il écrit cette phrase :

« Oh, Quelle beauté que cette rénovation des dons célestes de l’Esprit Saint, qui nous assurent les gloires immortelles. Toute l’histoire de l’Eglise est là. L’expérience du passé, la réalité du présent, la vision de l’avenir, tout est là ![2] »

Il est extraordinaire de penser que Jean XXIII semble même « devancer » des philosophes !

Pourquoi ? Parce qu'à l'image d'Augustin dans ses Confessions[3], le pape nous livre ici une méditation sur le temps.

L’expérience liturgique de la Pentecôte semble être ce rassemblement du passé, du présent et de l’avenir, mais qui sont comme "condensés" dans l’évènement vécu au présent.

Dans le présent de cette fête de la Pentecôte 1959, vécu par Jean XXIII et les autres chrétiens de son temps, sont condensés l’expérience passée, la réalité du présent et la vision de l’avenir.

Je dis qu’il « devance » des philosophes parce que la rédaction d’une telle vision du temps sera faite par Paul Ricoeur dans son ouvrage Du texte à l’action[4] de 1986. Il fera une méditation sur le temps dans le chapitre « initiative », qui aujourd’hui encore, reste inégalée. Paul Ricoeur parle du concept de « temps phénoménologique » et c’est lui qui condense, dans l’expérience du présent (un « présent phénoménologique »), à la fois le passé, le présent et l’avenir.

D’une manière poétique, nous dirons que le passé et l’avenir sont « convoqués », "conjugués" au présent ! Ainsi, dans cette analyse du temps et de l’histoire de l’Eglise, au sein même de l’expérience liturgique de la Pentecôte, Jean XXIII se place dans ce courant phénoménologique. Il donne une dimension phénoménologique au temps dans la liturgie.


Cette compréhension théologique de l’expérience liturgique est déjà en elle-même une nouveauté ! Par cette simple phrase Jean XXIII semble se montrer un authentique disciple du Mouvement liturgique[5]. Mouvement qui sera d'ailleurs confirmé par le discours de Pie XII en 1956 surtout lorsqu'il écrit :


" Le mouvement liturgique est apparu ainsi comme un signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps présent, comme un passage du Saint-Esprit dans son Église, pour rapprocher davantage les hommes des mystères de la foi et des richesses de la grâce, qui découlent de la participation active des fidèles à la vie liturgique […] La liturgie et le passé. En matière de liturgie, comme en beaucoup d'autres domaines, il faut éviter à l'égard du passé deux attitudes excessives : un attachement aveugle et un mépris total. On trouve dans la liturgie des éléments immuables, un contenu sacré qui transcende le temps, mais aussi des éléments variables, transitoires, parfois même défectueux. […] La liturgie et le temps présent. La liturgie confère à la vie de l'Église, et même à toute l'attitude religieuse d'aujourd'hui. une empreinte caractéristique. On remarque surtout une participation active et consciente des fidèles aux actions liturgiques. De la part de l'Église, la liturgie actuelle comporte un souci de progrès, mais aussi de conservation et de défense. Elle retourne au passé sans le copier servilement, et crée du nouveau dans les cérémonies elles-mêmes, dans l'usage de la langue vulgaire, dans le chant populaire et la construction des églises. [6]"



Par son allocution et son interprétation de la Pentecôte Jean XXIII expose indirectement des soubassements du Mouvement liturgique que l'on retrouvera confirmée au sein de la constitution dogmatique sur la liturgie « Sacrosanctum Concilium » signée le 04 décembre 1963 à 2147 voix contre 2. Elle renouvellera en profondeur les notions de "mémorial[7]" et "d’anamnèse[8]". Cette tension entre ce qui est immuable et ce qui est variable, pour reprendre les termes de Pie XII, sera d'ailleurs la clef herméneutique pour comprendre les principes qui gouverneront le sens de la réforme liturgique[9].

Le génie pastoral de Jean XXIII sera de dire, à travers cette vision « anamnétique » de l’Eglise fruit d'une interprétation de la Pentecôte à la lumière du temps phénoménologique, que l’expérience de l’effusion de l’Esprit Saint est avant tout une expérience « nuptiale », de « communion » avec l’Eglise !

Présenter le mystère de l'Eglise comme communion, c'est montrer que Jean XXIII vivait du renouvellement patristique amorcée au moment de la seconde guerre mondiale.


Invoquer l’Esprit Saint est perçu comme une expérience de communion avec l’Eglise en tant que mystère, dans la totalité de son histoire ! On est bien loin du phénomène de « privatisation » actuelle des dons de l’Esprit Saint, dont certains groupes ecclésiaux se voulant plus « charismatiques » les uns que les autres, évitent de temps à autre cet écueil.

Il faut également reconnaitre que le futur concile Vatican II renouvellera profondément la vision ecclésiale, en particulier dans les premiers chapitres de la constitution dogmatique « Lumen Gentium », signée le 21 novembre 1964 à 2151 voix contre 5. Elle présentera l'Eglise d'abord comme "mystère[10]" et un "mystère de communion[11]" avant d'être un peuple constitué. D'ailleurs concevoir l'Eglise comme "mystère de communion" a suscité de riches réflexions théologiques[12] après le concile, renforçant que Vatican II a été un concile ecclésiologique où l'Eglise a pris davantage conscience de son mystère.


UNE PLUS GRANDE OUVERTURE DES LIEUX THEOLOGIQUES :


Une autre nouveauté est exprimée au paragraphe suivant de l'homélie:

« Ce déroulement de notre vie personnelle et sociale, comme individus et comme membres du grand corps vivant de l’Eglise catholique, est tissé de joies et de peines, de consolations et d’amertume. Il vous sera agréable d’entendre parler de consolations, mais ne refusez pas, par contre, de participer avec Nous aux tristesses les plus lourdes de Notre immense sollicitude pastorale, étendue à toutes les régions de la terre.[13] »

Comment ne pas y lire déjà en filigrane, ce qui deviendra l'expression la plus célèbre formule[14] de la dernière constitution dogmatique « Gaudium et spes », signée le 8 décembre 1965 à 2307 voix contre 75 ? Toute l’introduction du texte conciliaire et la présentation de sa démarche, tant pastorale que théologique, sont comme déjà discrètement évoqués dans cette citation de Jean XXIII !

Face à certaines personnes, même qui ont de grandes responsabilités dans l’Eglise et qui osent dire que « Gaudium et spes » est le texte du Concile qui a le plus mal vieilli, j’ose demander pourquoi une telle sentence pessimiste à son égard ? Car à mon avis, tant dans sa démarche intellectuelle et théologique, que dans son analyse, « Gaudium et spes » porte en elle tout l’enracinement pastoral de l’Action Catholique, au travers du célèbre adage « Voir », « Juger », « Agir » !


En tous cas, Jean XXIII semble, à sa façon, appliquer cela !

Lors de la précédente étude de son discours, lors du consistoire exceptionnel du 25 janvier 1959, nous avons pu voir, qu’il opère finalement cet adage propre à l’Action Catholique :

· Il « voit » le monde tel qu’il est (question de la liberté, des persécutions de l’Eglise de Chine, des relations internationales allant se dégradant).

· Il « juge » et opère un discernement (pour lui, une manifestation nouvelle de l’antique péché originel avec la spoliation de la liberté qui causera un déséquilibre relationnel entre les peuples).

· Il « agit » en proposant l’idée de convoquer le Concile.

Jean XXIII semble porter en lui, cette imprégnation profonde de la démarche de l’Action Catholique, qui d’ailleurs deviendra un des sujets de réflexions souhaités par un bon nombre d’évêques au moment de la préparation.


La constitution dogmatique « Gaudium et spes » représente un évènement dans l’histoire des conciles. Mais comment mieux le saisir.

Déjà elle est la première constitution de l'histoire de l'Eglise qui n'est pas uniquement adressée aux Catholiques, mais à toutes personnes de bonne volonté !

Ensuite c’est une constitution dogmatique inaugurant ce que l'on nomme aujourd'hui sous le titre de « théologie pastorale », bien sûr avec une vision du monde qui elle n’est plus d'actualité.

Cependant dans sa démarche elle rend officiel une manière de faire de la théologie ! En ce sens, le génie de cette constitution est là ! « Gaudium et spes » sera un évènement parce qu’elle redistribue le domaine de la théologie !

On assiste alors à un décloisonnement ! Avec la constitution « Gaudium et spes », on peut faire de la théologie à partir de la pastorale ! Avec la constitution « Lumen gentium » on fait de la théologie en pensant et en vivant le mystère de l’Eglise, et non plu une unique gérance institutionnelle. Avec la constitution « Dei Verbum » on fait de la théologie en étudiant les sciences bibliques, chose inouïe depuis la grave crise moderniste au début du XXème siècle, où l’exégèse et la théologie était séparée. Avec la constitution « Sacrosanctum concilium » on fait de la théologie en pensant et en vivant la liturgie, et ce n’est plus une affaire de rites !

Ainsi la théologie retrouve d’autres lieux, qui lui était séparés depuis de longues dates : la liturgie, l’Ecriture, l’Eglise, la pastorale. Ces 4 derniers domaines sont donc des « lieux théologiques » à part entière et reconnus comme tel !

Avons-nous saisi cela encore aujourd’hui ?

Avec cette phrase de Jean XXIII, annonçant « Gaudium et spes », je dirai que cette constitution n’a pas fini de faire parler d’elle-même, car elle incarne l’histoire de l’Eglise à cette époque-là !

Elle reflète au mieux l’Incarnation de l’Eglise, en ce temps-là. Et c’est elle, qui traduit cet élargissement du champ de la théologie.

Une préparation au Concile vraiment universelle !


Au sein de son homélie pour la Pentecôte, Jean XXIII synthétise toute l'action de l'année 1959…

Mais avec tout cela, je ne vous ai parlé que d’1/6 du discours… J’espère que vous irez le lire[15], parce qu’il est tout simplement beau et émouvant...

Jean XXIII y annonce la Commission préparatoire au Concile et rien que pour cela nous regarderons de plus près pour mieux comprendre la préparation de cet évènement majeur du XXème siècle.

Il donne ensuite le cahier des charges pour toute l’année 1959.


------------------------------------------------------------------------------------------------------------- [1] Documentation Catholique, N°1306, 21 juin 1959 [2] Ibid. [3] Augustin d'Hippone, Les Confessions, Livre IX-XIV,17. [4] Paul Ricoeur, Du texte à l'action, essai d'herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p.261-280. [5] Bernard Botte, Le Mouvement liturgique : témoignage et souvenirs, Paris, Desclée de Brouwer, 1973. [6] Pie XII, Discours aux participants du Congrès international de liturgie pastorale, 22 septembre 1956. [7] Concile Vatican II, constitution dogmatique Sacrosanctum Concilium, N°47 et 5-6. [8] Ibid. N°6-7-8. [9]Ibid. N°21 : " Pour que le peuple chrétien bénéficie plus sûrement des grâces abondantes dans la liturgie, la sainte Mère l’Église veut travailler sérieusement à la restauration générale de la liturgie elle-même. Car celle-ci comporte une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et des parties sujettes au changement qui peuvent varier au cours des âges ou même le doivent, s’il s’y est introduit des éléments qui correspondent mal à la nature intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées. Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire." [10] Concile Vatican II, constitution dogmatique Lumen Gentium, N°2-3-4-5. [11] Ibid. N°4-7-8. [12] Joseph Ratzinger, Lettre aux évêques de l'Eglise Catholique sur certains aspects de l'Eglise comprise comme communion, Congrégation pour la Doctrine de la foi, 28 mai 1992. [13] Documentation Catholique, N°1306, 21 juin 1959. [14] Concile Vatican II, constitution dogmatique Gaudium et spes, N°1 : " Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire." [15] Jean XXIII, Homélie pour la fête de la Pentecôte, 17 mai 1959.

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