« Au matin dans la clarté », Louis ARRAGON et Jacques BERTHIER
- bohleremmanuel
- 15 déc. 2020
- 8 min de lecture
Libre commentaire du cantique « Au matin dans la clarté« ,
cote: I 15
Texte de Louis ARRAGON et Bernard GEOFFROY.
Musique de Jacques BERTHIER (1923-1994).
Article publié par l’Union Sainte Cécile, dans la revue CAECILIA du Service Diocésain de Pastorale Liturgique et Sacramentelle, de musique et d’art sacré de l’archidiocèse de Strasbourg.
N°02, édition de mars 2020.

Le Christ aux Enfers (Russie XIXème siècle)
A côté de la collection Les 2 Tables coordonnée par Robert JEF et Jean SERVEL ; il existe une autre collection qui joua un rôle important pour le renouveau du chant liturgique et dont on loua les qualités littéraires et hymnographiques[1].
Il s’agit des 3 livres « Gloire au Seigneur[2] » publiés en 1946, 1952 et 1960, sous la direction du jésuite Bernard GEOFFROY alors chef de chœur des célèbres petits chanteurs de Provence.
Pour ces 3 tomes, Bernard GEOFFROY collabora avec des hymnographes, des biblistes et des musiciens célèbres. On peut citer entres autres le traducteur helléniste Louis ARRAGON ; le compositeur Jean LANGLAIS (1907-1991), le fondateur des compagnons de la musique Louis LIEBARD (1908-2010), le fondateur du mouvement A cœur joie César GEOFFRAY (1901-1972).
Fruit d’une collaboration avec Louis ARRAGON, le texte du cantique « Au matin dans la clarté » est une mystagogie de la veillée et du temps pascal. Il compile aussi les récits de la Résurrection des 4 évangélistes.
Les strophes sont composées de 4 vers heptasyllabes dont voici l’organisation : A-B-A-C.
La répétition permet une meilleure mémorisation.
Le refrain est composé de 3 vers heptasyllabes dont le dernier s’adapte en fonction des strophes.
La construction est « parfaite » puisque composée de 7 vers de 7 syllabes !
La musique de Jacques BERTHIER est de caractère modal (fa authente) respectant chaque vers. Elle permet une alternance entre 2 groupes pour la strophe (A-B et A-C) confiant ainsi le refrain à l’assemblée. Mais on peut proposer une alternance pour le refrain en confiant le vers 1 au groupe 1, le vers 2 au groupe 2 et le vers 3 à l’ensemble.
La subtilité de l’écriture heptasyllabique permet à ce chant d’être considéré comme une hymne strophique et pas seulement comme un cantique à refrain.
L’ensemble strophe 1/refrain constitue le socle pour entrer dans le mystère.
La strophe 1 évoque la poétique pascale avec matin, clarté, levé où la lumière n’est pas tant celle du soleil que celle de la Résurrection.
Le refrain est un admirable condensé théologique.
A travers les 2 premiers vers l’unique raison de chanter alléluia c’est la victoire du Christ sur la mort. Résumé de la naissance de l’alléluia au cœur de la veillée pascale, cette acclamation fait son entrée pour proclamer la résurrection à travers l’Evangile.
A cette action de grâce, l’assemblée pose un acte de foi en renouvelant les promesses baptismales. C’est pour cela que le dernier vers du refrain ce termine par un acte de foi et d’espérance envers le Ressuscité.
Véritable cantique-évangélique, les autres strophes compilent comme l’Octave de Pâques les principaux récits de la Résurrection en tissant cette tapisserie biblique:
La strophe 2[1] reprendrait Mc 16, 9-20 avec un clin d’œil aux Exercices de Saint Ignace de Loyola (fondateur des jésuites) qui développe cette antique tradition que Marie aurait eu le bénéfice d’une apparition.
La strophe 3 [2] reprendrait Jn 20, 11-17, Jn 20, 19 ; 24-29 et Jn 21, 8-14.
La strophe 4 [3] reprendrait Mt 28, 16-20.
La strophe 5 [4] reprendrait Lc 24, 44-53.
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[1] Les notes en bas de page qui vont suivre (3-6) sont un essai de synthèse, permettant d’avoir une vue panoramique sur les récits de la Résurrection d’après les 4 évangiles. Elles sont une esquisse pour donner goût à la richesse scripturaire concernant l’évènement fondateur du christianisme.
La strophe 2 exprime le mystère de la Résurrection comme étant un retour : Jésus reviens chez les siens. L’évangile selon saint Marc étant le plus ancien des 4 évangiles, son dernier chapitre présente de manière synthétique et sobre l’intégralité des apparitions qui seront plus ou moins développées (ou omises) dans les autres évangiles. Les faits sont évoqués avec concision, sans trop donner de détails et encore moins d’indices liés au temps et à l’espace. Nous avons tout d’abord l’apparition de l’homme vêtu de blanc qui annonce la Résurrection à Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé (Mc 16, 1-7) venues au tombeau le premier jour de la semaine et ayant constaté que ce dernier était ouvert. Il les envois auprès des disciples pour qu’ils se rendent en Galilée où il les attend (le terme « précédé » est ici utilisé). Puis il y a l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine (Mc 16, 9-10) le matin même. Elle courut ensuite dire aux apôtres qu’elle avait vu, mais eux ne la crurent pas. Ensuite il y a l’apparition de Jésus à 2 hommes en chemin pour aller à la campagne (Mc 16, 12-13). On ne sait qui sont-ils, ni où ils allaient, ni quand à eut lieu cette apparition. Saint Marc dit seulement qu’ils revinrent raconter aux disciples leur rencontre, mais ils ne les crurent pas non plus. On ne sait pas non plus quand ils sont revenus auprès des apôtres. Enfin il y a l’apparition de Jésus aux 11 apôtres au cours d’un repas où il leur reproche leur manque de foi (Mc 16, 14). Là aussi on ne sait pas quand ni où se passe ce repas, est-ce à Jérusalem ou en Galilée ? Pendant ce repas et juste avant son Ascension, il y a l’envoi en mission des apôtres pour annoncer, baptiser, chasser les démons et guérir les malades (Mc 16, 15-19). Les 3 autres évangélistes vont donner plus de détails.
[2] La strophe 3 développe les éléments singuliers et originaux des récits de la Résurrection selon saint Jean, les plus tardifs des 4. Tout d’abord cet évangile est beaucoup plus détaillé que la sobriété et la concision de l’évangile selon saint Marc dont il s’inspire modestement. Tout d’abord, saint Jean est le seul à dire que Marie-Madeleine vient seule au tombeau, et voyant qu’il est ouvert va d’abord chercher Pierre et Jean qui viennent sur place pour constater le fait (Jn 20, 1-10). Après leur départ et contrairement à saint Marc, il y a l’apparition de 2 hommes vêtus de blanc à Marie-Madeleine dans le jardin, puisque saint Jean est le seul à mentionner que le sépulcre se trouvait dans un jardin. Dans la même scène, Jésus apparait et de cette rencontre Marie-Madeleine va annoncer aux disciples ce qui vient de se passer (Jn 20, 11-18) mais sans être envoyé explicitement. Jean ne raconte pas l’apparition aux 2 hommes en chemin vers la campagne. Par contre le soir de Pâques Jésus apparait aux disciples à Jérusalem, mais rien n’indique, comme chez saint Marc, qu’il s’agisse d’un repas. Par contre saint Jean est le seul à insister sur le fait que les disciples se cachent par peur des juifs. De plus Jésus montre ses mains et son côté et il souffle sur eux le don de l’Esprit Saint pour les consacrer et les envoyer en mission afin de remettre les péchés (Jn 20, 19-25). Comme Thomas était absent, saint Jean est le seul à dire que Jésus revient huit jours plus tard et montre ses mains et son côté au disciple encore incrédule (Jn 20, 26-31). Enfin saint Jean est le seul à mentionner l’épisode de la pêche miraculeuse et du repas où Jésus a d’avance préparé à manger pour ses disciples (Jn 21, 1-14). Cette scène se passe au Lac de Tibériade en Galilée. Saint Jean est le seul évangéliste faisant mention de Jésus nourrissant ses disciples. Après ce repas il va plus spécialement envoyer Pierre en mission pour être le pasteur de la jeune Eglise (Jn 21, 15-25).
[3] Les récits de la Résurrection saint Matthieu, bien qu’étant très proches des récits de saint Marc, développent quelques éléments singuliers qui sont exposés dans la strophe 4. Les récits de la Résurrection commencent par l’apparition de l’homme en blanc à Marie-Madeleine et l’autre Marie (par rapport à Marc il manque Salomé). Saint Mathieu est le seul évangéliste à décrire l’ouverture du tombeau par cet homme vêtu en blanc qui est descendu du ciel (Mt 28, 1-8), mais également soulignant le fait que les gardes présents sont saisis de crainte. Puis il y a l’apparition de Jésus aux 2 femmes (Mt 28, 9-10) où l’on souligne qu’elles se prosternent devant lui et puis courent le dire aux apôtres. A la place de l’apparition de Jésus aux 2 hommes en chemin vers la campagne, saint Matthieu est le seul à raconter la conspiration des Grands-Prêtres qui vont payer quelques gardes présents au sépulcre pour divulguer une fausse information discriminant les disciples comme quoi ils auraient volé le corps de Jésus (Mt 28, 11-15). Saint Matthieu est aussi le seul à dire que Jésus était apparu à ses 11 apôtres seulement lorsque ceux-ci se sont rendus en Galilée, en plus sur une montagne où ils se prosternèrent devant lui (Mt 28, 16-17). Il n’y a pas d’indication de date ou de jours mais il est possible de penser qu’il s’agit du mont Thabor, lieu de la Transfiguration. Contrairement à saint Marc, il n’y a pas de repas mais le récit suggère l’idée d’une Ascension sans la nommer. Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations pour baptiser et garder ses commandements. Alors que saint Marc l’avait discrètement suggéré, saint Mathieu est le seul à indiquer l’annonce ouverte et explicite que Jésus restera toujours avec ses disciples (Mt 28, 18-20).
[4] Les récits de la Résurrection selon saint Luc développent des détails et des éléments singuliers qui semblent combler la sobriété, la concision et le peu d’indices de l’évangile selon saint Marc, bien qu’étant très proche. Certains sont exposés dans la strophe 4. Saint Luc ne mentionne pas les noms des femmes qui viennent au tombeau le matin de Pâques, par contre elles constatent le tombeau ouvert et bénéficient de l’apparition de 2 hommes vêtus de blanc et non d’un seul comme chez saint Marc (Lc 24, 1-8). Les 2 hommes annoncent uniquement que Jésus est ressuscité, avec la seul consigne de se souvenir de ses paroles lorsqu’il était en Galilée, à savoir l’annonce de sa mort et de sa résurrection. Il n’y a aucun envoi en mission vers les autres apôtres. Suite à cela, elles partent d’elles-mêmes raconter cet évènement aux autres apôtres qui, comme chez saint Marc, ne les croient pas (Lc 24, 9-12). C’est seulement au cours de ce passage que l’on connait l’identité des femmes (Marie-Madeleine, Jeanne, Marie mère de Jacques) dont une est différente que chez saint Marc (Salomé). Saint Luc est le seul évangéliste qui ne raconte pas l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine comme chez saint Marc, par contre il est le seul à développer très longuement l’apparition aux 2 hommes en chemin vers la campagne le jour de Pâques. Saint Luc donne l’identité d’un seul et lieu de leur destination : Cléophas se rendant avec l’autre disciple à Emmaüs (Lc 24, 13-33a). Jésus les rejoints et ils parlent de sa mort et du tombeau ouvert. Il leur explique l’Ecriture, et restant avec eux à Emmaüs il mange. Cette apparition semble décisive et centrale d’un point de vue narratif car elle va coordonner la rédaction des autres apparitions comme un modèle. Comme chez saint Marc, Jésus apparait aux onze apôtres qui ont reçu la visite des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 33b-49). Contrairement au récit de saint Marc, saint Luc ajoute qu’il s’agit bien du soir de Pâques et qu’ils sont saisis de frayeur à la vue de Jésus. Ce dernier leur montre ses mains et ses pieds pour renforcer la résurrection selon la chair. Jésus leur demande à manger tout en leur expliquant l’Ecriture concernant sa mort et sa résurrection. Enfin, non seulement Jésus envoie ses disciples en mission pour annoncer la conversion et le pardon des péchés mais il est le seul à développer une autre annonce : la prochaine venue d’une force, celle de l’Esprit-Saint afin de les consacrer. Enfin saint Luc est le seul à mentionner l’Ascension de Jésus comme un épisode autonome (Lc 24, 50-53), dissocié de l’envoi en mission et ayant lieu à Béthanie. Au cours de ce dernier les apôtres sont bénis : ils attendent maintenant l’effusion de l’Esprit Saint et retournent au Temple de Jérusalem pour y prier.
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