Présentation du répertoire pour piano interprété par Elisabeth CATEZ (1880-1906)
- bohleremmanuel
- 11 déc. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 sept. 2021
Dans le cadre de la cadre de la canonisation d'Elisabeth de la Trinité, le 16 octobre 2016. Un cycle de 14 émissions lui a été consacré sur Radio Jérico durant la saison 2016-2017.
Cette recension a été faite pour Radio Jérico durant le mois de septembre afin de présenter le répertoire musical qui sera à la base des émissions.

Elisabeth CATEZ (1880-1906)
Premier prix de piano du Conservatoire de Dijon en 1894 (année de la photographie)
Carmélite sous le nom d'Elisabeth de la Trinité (1901-1906)
Avant d’être une carmélite, Elisabeth de la Trinité (1880-1906) née Elisabeth CATEZ, fût en son temps une virtuose précoce du piano au sein du Conservatoire de Dijon considéré dès 1868 comme une succursale du Conservatoire de Paris.
Si l'on tente d'élaborer et de cerner son répertoire d'après les sources (écrits personnels, archives du Conservatoire de Dijon, presse locales et critiques musicales), au-delà des pièces que l'on peut qualifier de pédagogiques à vocation de l'apprentissage des techniques pianistiques, il semble s'enraciner dans la grande tradition romantique issue de la culture germanique.
Elisabeth CATEZ est très pudique et n'écrit presque rien sur elle, ni sur sa passion de la musique. Aussi d’après les quelques sources en notre possession voici le répertoire[1] que l'on peut établir avec sûreté :
A 8 ans (inscription au Conservatoire) :
L’Orage, rondo pastoral op.3 de STEIBELT (1765-1823)
A 9 ans :
· Chantons l’Hymen, extrait du recueil "Petits airs connus variés" op.6 de Jan Ladislav DUSSEK (1760-1812). Il s'agit d'un "Thème et 4 variations" à partir de l'air extrait de l'opéra "Blaise et Babet" (1783) de Nicolas DEZEDE (1740-1792).
· La Parodie op.50 et la Grande Sonate op.20, 2 sonates pour piano de Jean-Baptiste CRAMER (1771-1858),
· Arioso de Hippolyte-François RABAUD (1839-1900) pour piano et violoncelle
A 10 ans :
Air varié sur l'air populaire le Forgeron harmonieux, extrait de suite n°05 en Mi majeur, HWV430 de Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
A 12 ans :
Ballade en si mineur n°05, opus posthume de Frédéric CHOPIN (1810-1849)
A 13 ans (1er prix de piano et inscription en harmonie) :
Capriccio brillant en Si mineur op.22 de Félix MENDELSSOHN (1809-1847)
A 14 ans (prix d’excellence de piano) :
· Raphsodie hongroise n°02 , extraite des 19 Rhapsodies hongroises S244 (R106) de Franz LISZT (1811-1886), exécutée devant Gabriel FAURE (1845-1924) pour les 25 ans du Conservatoire de Dijon.
· Scherzo n°??, extrait des 4 Scherzo op.54 de Frédéric CHOPIN (1810-1849)
A 15 ans (accessit d’harmonie)
· Le chant du Nautonier op.12 de Louis-Joseph DIEMER (1843-1919)
· Les quatre Ballades op.52 de Frédéric CHOPIN (1810-1849)
Probablement d’autres œuvres de ces 3 compositeurs romantiques favoris :
· Nocturnes (op.9, op.15, op.27, op.32, op.37, op.48, op.55, op.66, op.72), Impromptus (op.29, op.36, op.51, op.66), Etudes (op.10 et op.25), Préludes (op.28) de Frédéric CHOPIN (1810-1849)
· Autres Œuvres de Franz LISZT (1811-1886) mais elles ne sont pas explicitement nommées. Peut-être les trois Nocturnes (S/G541), les consolations (S172), les Etudes (S139).
· Œuvres de Robert SCHUMANN (1810-1856) : Carnaval op.9, Les Kinderscenen op.15, Le carnaval de Vienne op.26, les trois Fantaisiestücke op.111
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Celle qui à 13 ans obtint son premier prix de piano.
Celle qui joua seule devant Gabriel FAURE à l’occasion du 25ème anniversaire du Conservatoire de Dijon où elle reçut sa formation musicale.
Celle qui passa son prix d’excellence à 14 ans.
Celle qui était reconnue non seulement de ses maîtres, mais du public et de l’unanimité des critiques musicaux de son temps, pour la maturité de son expression et la précision son interprétation des plus grands classiques du répertoire romantique pour piano.
En fait, elle joue et maîtrise avec une étonnante maturité technique et sensible, le riche répertoire composé par une même "génération".
Qu'il s'agisse de Félix MENDELSSOHN (1809-1847), Franz LISTZ (1811-1886), Frédéric CHOPIN (1810-1849), Robert SCHUMANN (1810-1856) qui furent parmi les favoris de la carmélite, ils sont nés presque en même temps.
En leur temps, ils ont été les pionniers d'un style et d'une musique nouvelle : celle du romantisme. D'un point de vue généalogique, cette génération de compositeurs est contemporaine de celle des grands-parents d'Elisabeth CATEZ.
Cette proximité dans le temps fait qu'Elisabeth CATEZ a pu bénéficier d'une authentique "tradition" d'apprentissage et d'interprétation par des professeurs issus de la génération des enfants de ces compositeurs.
D'un point de vue stylistique de l'apprentissage, par rapport à la place de son professeur Adolphe DIETRICH et de la présence de Gabriel FAURE (ami d'Adolphe DIETRICH puisqu'ils ont été formé à la même école NIEDERMEYER), Elisabeth CATEZ s'enracine dans ce mouvement qui enseigne et perpétue une tradition romantique et que l'on nomme "post-romantique".
Ce mouvement "post-romantique" est complexe et se décline différemment suivant les pays.
En France, il est très intéressant car il est un savant mélange entre une tradition romantique (en particulier harmonique) et un renouvellement dans la maîtrise de formes plus "classiques" (c'est-à-dire une redécouverte scientifique des musiques "anciennes").
Mais la particularité française, surtout après la défaite de 1870, réside dans une ambivalence de positionnement vis-à-vis de la musique allemande.
Dès 1871, ce mouvement "post romantique" se concrétisera par la création de la Société Nationale de Musique (SNM) qui voudra promouvoir les compositions pour une musique "française" afin de s'opposer à la propension du milieu musical français à favoriser la musique d’opéra d’une part, et d'autre part la musique instrumentale germanique (en particulier Wagner). La volonté du "post romantisme" est de renouer avec une musique savante, élaborée (moins frivole que l'opéra), assumant les formes anciennes et de s'opposer à l'hégémonie du style wagnérien.
Malheureusement 1886 est l'année d'une division profonde au sein de ce mouvement entre ceux qui ne veulent qu'un exclusivisme français (c'est le cas de Camille Saint-Saens), contre ceux qui promeuvent des œuvres "étrangères" (les partisans de César Franck) et qui, au bout du compte, son favorable au style wagnérien.
En 1894, Elisabeth CATEZ est très loin de ces considérations mais indirectement, son enseignement l'enracine dans un positionnement particulier au sein du monde musical de son temps.
L'analyse de la pertinence pédagogique de son répertoire enseigné au Conservatoire montre cela.
Dès son entrée elle développe une exigeante technique pianistique avec des pièces à caractère formel et classique (abondance du thème et variations). Même s'il y a des thèmes d'opéras, ces derniers sont ennoblis par une écriture savante et virtuose.
Puis il y a une maitrise du langage musicale proprement "romantique" mais avec une large part de la musique allemande et étrangère (même si certains compositeurs "étrangers" résident en France).
Finalement Adolphe DIETRICH semble prolonger les intuitions pédagogiques si caractéristiques de l'Ecole NIEDERMEYER qui, pour s'opposer à l'invasion de l'art mondain dans le domaine sacré et établir entre la religion et l'art profane une nette séparation, propose un enseignement sur la musique religieuse sous tous ses aspects : chant grégorien, piano, orgue, accompagnement, écriture, histoire de la musique en particulier l'analyse de polyphonies des Maîtres de la Renaissance. Il voulait renouer avec l'étude des anciens Maîtres, des anciens styles et des anciennes formes, comme d'ailleurs le fit avec compétence Félix Mendelssohn en son temps.
Adolphe DIETRICH sembla appliquer ces principes musicologique au sein de la formation instrumentale qu'il propose.
En outre, on peut reconnaitre que le répertoire d'Elisabeth CATEZ possède davantage de compositeurs du "passé", c’est-à-dire déjà mort ; que des compositeurs contemporains.
En sommes Elisabeth CATEZ est une "virtuose précoce" dans un répertoire romantique, enseigné et perpétué dans le mouvement du "post romantisme", plutôt dans un esprit franckiste.
Cependant, elle se situe dans un mouvement qui commencer à décliner.
Les compositeurs du "post romantisme" prolonge un style et un esprit romantique, qui bien qu'il soit encore "à la mode" est de moins en moins pertinent pour une nouvelle génération.
Il suffit pour cela de comparer son répertoire en 1894-1895 avec les compositions des nouveaux "pionniers" et "avant-gardiste" de ces mêmes années que sont par exemple Claude DEBUSSY, Erik SATIE ou dans un autre ordre Maurice RAVEL. D'ailleurs ces derniers devront s'opposer ouvertement à la Société National de Musique en 1909 en fondant un mouvement dont le principal objectif sera de promouvoir la musique contemporaine sans restriction de forme, de genre ou de style.
Il en sera de même pour la littérature et la poésie.
Elisabeth CATEZ semble être une "étoile montante", tournée vers le passé d'un âge d'or du romantisme allemand qui commence à s'éclipser. Ce qui musicalement n'ôte rien à ses prodigieuses compétences reconnues et louées.
Elle est dans un "entre deux" et semble étrangère à la "modernité" et à l'avant-garde qui se met en place.
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Malgré tout cela…
Malgré cette carrière musicale qui semblait s’ouvrir, elle était déjà fascinée par l’audition d’une autre musique : celle du chant intérieur d’un carmel, qui comme jadis pour le prophète Elie (1 R 19) se concrétise dans l’audition à peine perceptible du murmure d’une brise légère, celui de la voix du Bien-Aimé qui nous fait entrer dans le mystère de la Trinité. Dans la solitude silencieuse du Carmel de Dijon, elle passera sa courte vie à « écouter » et à se « faire toute enseignable » afin de transformer sa vie en « Louange de gloire ».
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C’est au rythme d’extraits de ce riche répertoire romantique pour piano, joués et maitrisés par Elisabeth CATEZ, que ce cycle d’émissions de STELLA SACRA sera élaboré.
Hors du temps, elle nous fera découvrir et redécouvrir la force poétique et sentimentale de ce romantisme allemand.
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[1] P. BARTHEZ, « Elisabeth CATEZ : une vraie musicienne », in : Elisabeth de la Trinité, l’aventure mystique, Toulouse, Editions du Carmel, recherches carmélitaines, 2006.
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