top of page

Supplément au commentaire du cantique "Qui mange ma chair"

Dernière mise à jour : 29 juil. 2024

Supplément numérique au commentaire du cantique "Qui mange ma chair".


Cote : D290


Article mis en ligne par l’Union Sainte Cécile, dans la revue CAECILIA du Service Diocésain de Pastorale Liturgique et Sacramentelle, de musique et d’art sacré de l’archidiocèse de Strasbourg.


N°02, édition de mai 2024.



« Le chemin d’Emmaüs » (1986), Jean-Marie WALASTER (1927-2000)




ANALYSE SOUS FORME D'ESSAI

DU CANTIQUE « Qui mange ma chair »

UNE MYSTAGOGIE DU RITE DE COMMUNION ?

 

 

Au sein du premier article rédigé pour l’édition du n°2 de la revue CAECILIA, nous nous étions attardés sur l’analyse musicale du cantique « Qui mange ma chair » (D290), où le compositeur Jacques BERTHIER écrivit une véritable Chaconne à partir du thème des « Folies d’Espagne » devenu l’ostinato/refrain.

Nous avions uniquement évoqué le choix du verset de refrain au sein du Discours sur le Pain de Vie selon l’évangile de Jean, ainsi que les versets sélectionnés par Didier RIMAUD pour les couplets. Nous avions uniquement constaté le fait que les versets sélectionnés ne suivaient pas l’ordre chronologique de rédaction du Discours sur le Pain de vie. Cet état de fait est à l’origine de cette recherche.

Dans ce complément numérique, nous allons aller dans le sens opposé : des versets à la musique ! Nous allons nous attarder sur ce Discours sur le Pain de Vie (Jn 6,22-71) et son utilisation par Didier RIMAUD pour les besoins de ce cantique. Quelques questions vont jalonner notre réflexion : Quelle place occupe l’évangile de Jean au sein de la liturgie et celle de l’année B en particulier ? Quelle place occupe le Discours sur le Pain de Vie au sein de l’année liturgique ? Comment le choix d’un verset pour le refrain va coordonner le choix d’une musique, mais aussi le choix des autres versets et leur ordonnancement, pour proposer une interprétation cohérente qui n’altère pas le sens du texte original dans son intégralité, mais qui en plus permet d’approfondir le sens d’un geste liturgique où s’accomplit le mystère annoncé ?

 

 

 

PREAMBULE : La place de l’évangile de Jean, et du Discours sur le Pain de Vie, au sein de l’année liturgique

 

Afin d’ouvrir plus largement les livres de l’Ecriture, la constitution du Lectionnaire Romain fut sans doute l’un des apports significatifs de la réforme liturgique du Concile Vatican II. 

Publié en 1975, le Lectionnaire Romain s’édita en trois volumes : le lectionnaire des dimanches et solennités, le lectionnaire de semaine, le lectionnaire pour la fête des saints. Cependant nous oublions que le Lectionnaire Romain, comme le Missel Romain, comporte une Présentation Générale[1] dont le contenu, à la fois théologique, exégétique et pastorale, mériterait qu’on l’étudie davantage tant il synthétise l’enseignement conciliaire sur la liturgie (Sacrosanctum Concilium) en synergie avec la Révélation (Dei Verbum).

Ce Lectionnaire Romain, avec sa présentation, connut une deuxième édition typique en 1981, dont la révision des traductions (celle que nous avons actuellement) a été promulguée en 2014 suite à la publication de la Bible de la liturgie en 2013.

Nous n’avons pas fini de découvrir la richesse de ce Lectionnaire Romain malgré ses presque cinquante années d’existence. Nous savons que pour le temps ordinaire des années liturgiques A-B et C, on privilégie la lecture semi-continue des trois évangiles synoptiques. Voici ce que l’on peut lire :

 

« …Pour les dimanches du Temps Ordinaire, qui n’ont pas de caractère particulier, les textes de l’apôtre et de l’Evangile se présentent sous forme de lecture semi-continue (on peut ainsi suivre dans son enchaînement la pensée de l’Apôtre dans son message à une Eglise donnée, ou les étapes de la vie du Seigneur telles que les présente un Evangile donné : Matthieu pendant l’année A, Marc pendant l’année B, Luc pendant l’année C), tandis que la lecture de l’Ancien Testament s’harmonise avec l’Evangile.[2] »

 

 

L’organisation générale des lectures des dimanches du temps ordinaire obéit à ces quelques principes :

« …Le 2ème dimanche est encore le prolongement de l’Epiphanie : miracle de Cana et deux autres textes de la manifestation du Seigneur en saint Jean. Au 3ème dimanche commence la lecture semi-continue des Evangiles Synoptiques. On a veillé à faire apparaître les caractéristiques propres et la structure de chaque Evangile. On a également fait en sorte de ne laisser de côté aucun élément de la catéchèse synoptique : ce qui n’a pas été retenu dans un Evangile est donné une autre année dans la version parallèle d’un autre Evangile. Quelques éléments essentiels, ou présentés très différemment dans les différents Evangiles, reviennent deux ou même trois fois.[3] »

 

 

Cependant l’année B possède une originalité qu’il convient d’analyser pour comprendre la démarche de composition de son cycle de lectures. A cause de la plus petite taille de l’évangile de Marc, sa lecture semi-continue est comme interrompue par l’évangile de Jean entre le 17ème et le 22ème dimanche du temps ordinaire. Véritable mise en abyme, ces cinq dimanches font entendre, au sein d’une lecture semi-continue de l’évangile de Marc, une autre lecture semi-continue du chapitre 6 de l’évangile de Jean. En voici l’organisation[4] :

Le 17ème dimanche, on y entend le récit de la multiplication des pains (Jn 6,1-15).

La presque totalité du Discours sur le Pain de Vie (Jn 6,24-59) est réparti sur les 18-19-20ème dimanches.

Le 21ème dimanche, on entend l’épisode des conséquences du Discours sur le Pain de Vie : le départ de nombreux disciples et l’adhésion de foi de l’apôtre Pierre (Jn 6,60-71).

Par contre, on y omet la lecture du récit de Jésus marchant sur les eaux et la tempête apaisée (Jn 6, 16-23).

 

Ainsi, on fait une pause dans la lecture continue de l’évangile de Marc en omettant sa version de la multiplication des pains pour privilégier et la remplacer par une lecture semi-continue du chapitre 6 de l’évangile de Jean avec la compilation de trois épisodes formant un ensemble très cohérent que l’on peut considérer comme une authentique catéchèse eucharistique. Il semble évident qu’au moment de la composition du nouveau Lectionnaire Romain les spécialistes ont voulu privilégier et mettre en lumière la version johannique du récit de la multiplication des pains. Même si au cours de l’année A, on entend la version de Matthieu (Mt 14,13-21) pour le 18ème dimanche du temps ordinaire ; la version de Luc (Lc 9,11-17) ne sera pas entendue lors de l’année C préférant mettre l’accent sur l’ensemble des originalités propre au texte.  Ainsi sur l’ensemble des trois années, l’année B est la seule privilégiée qui permet, en plein du temps ordinaire d’avoir une véritable catéchèse eucharistique sur cinq dimanches avec le récit de la multiplication des pains, son commentaire (Discours sur le Pain de Vie) et les conséquences jusqu’à l’adhésion de foi à partir d’un évangile qui n’est pas synoptique ! Ce qui confirme l’importance de cette catéchèse eucharistique johannique pour l’initiation chrétienne.

Au sein de la lecture semi-continue de l’évangile de Marc, la proclamation de l’évangile de Jean devient alors l’occasion d’une pause, d’un enseignement et d’un approfondissement par le Maître lui-même ! Durant ces cinq dimanches de l’année B, nous sommes enseignés par le Maître lui-même, pour entrer dans l’intelligence du mystère qu’il nous a demandé de faire en mémoire de Lui. Ainsi la liturgie et la richesse du Lectionnaire Romain, mettent à notre disposition trois moments privilégiés concernant l’Eucharistie : le Jeudi Saint avec la mémoire de l’Institution de la Cène, la solennité du Très-Saint-Sacrement, et enfin ces cinq dimanches de catéchèse eucharistique !

 

S’il est un phénomène impressionnant c’est bien celui concernant le Discours sur le Pain de Vie (Jn 6,24-59) : c’est la seule et unique fois, sur trois ans, qu’on l’entend en semi-continue dans la liturgie !

Ce fait nous montre indirectement l’importance de l’évangile de Jean au sein de la liturgie, même s’il n’y a pas d’année liturgique qui lui soit consacrée. Pourquoi ? Déjà parce que c’est lui qui inaugure le temps ordinaire pour les trois années A-B-C[5]. Ensuite parce qu’il occupe, pour les trois années, une place de choix pour des moments privilégiés et centraux : comme le temps du carême pour les années A[6] et B. Il domine très nettement le Triduum[7] et très largement le temps pascal[8] pour l’ensemble des trois années liturgiques (hormis le récit de l’évangile de la Résurrection pour la veillée pascale et celui de l’ascension, racontés suivant chaque synoptique). Il domine enfin les solennités durant le temps ordinaire[9]. Même si le Prologue est incontournable pour le Jour de Noël, il n’empêche qu’il ne domine pas pour le temps de l’avent ou le temps de Noël aux bénéfices, et cela va de soi, des Evangiles de l’Enfance de Matthieu et de Luc.

 

Voici à présent, dimanche après dimanche, la répartition de cette véritable catéchèse eucharistique constituée du récit de la multiplication des pains, du discours sur le Pain de Vie et ses conséquences avec l’adhésion de foi ou l’abandon des disciples. Apparaitront en gras les versets qui sont lus, en italique les versets qui ont été omis, et en rouge ceux qui ont été choisis par Didier RIMAUD pour composer le texte du cantique « Qui mange ma chair ».

 

Dimanche

Lecture semi-continue du chapitre 6 de l’évangile de Jean

17ème

01 Après cela, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade.

02 Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades.

03 Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples.

04 Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche.

05 Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? »

06 Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire.

07 Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. »

08 Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :

09 « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »

10 Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes.

11 Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient.

12 Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. »

13 Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.

14 À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. »

15 Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.

18ème

[16 Le soir venu, ses disciples descendirent jusqu’à la mer.

17 Ils s’embarquèrent pour gagner Capharnaüm, sur l’autre rive. C’étaient déjà les ténèbres, et Jésus n’avait pas encore rejoint les disciples.

18 Un grand vent soufflait, et la mer était agitée.

19 Les disciples avaient ramé sur une distance de vingt-cinq ou trente stades (c’est-à-dire environ cinq mille mètres), lorsqu’ils virent Jésus qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque. Alors, ils furent saisis de peur.

20 Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez plus peur. »

21 Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.

22 Le lendemain, la foule restée sur l’autre rive se rendit compte qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, et que Jésus n’y était pas monté avec ses disciples, qui étaient partis sans lui.

23 Cependant, d’autres barques, venant de Tibériade, étaient arrivées près de l’endroit où l’on avait mangé le pain après que le Seigneur eut rendu grâce.]

24 Quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus.

25 L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »

26 Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés.

27 Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. »

28 Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »

29 Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »

30 Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ?

31 Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. »

32 Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.

33 Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »

34 Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. »

35 Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif.

19ème

[36 Mais je vous l’ai déjà dit : vous avez vu, et pourtant vous ne croyez pas.

37 Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors.

38 Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.

39 Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour.

40 Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. »]

41 Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel.»

42 Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : “Je suis descendu du ciel” ? »

43 Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous.

44 Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

45 Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi.

46 Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père.

47 Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit.

48 Moi, je suis le pain de la vie.

49 Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ;

50 mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas.

51 Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »

20ème

52 Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »

53 Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.

54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

55 En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.

56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.

57 De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.

58 Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

21ème

[59 Voilà ce que Jésus a dit, alors qu’il enseignait à la synagogue de Capharnaüm.]

60 Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ?»

61 Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ?

62 Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !...

63 C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et

elles sont vie.

64 Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.

65 Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »

66 À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner.

67 Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »

68 Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.

69 Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »

[70 Jésus leur dit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! »

71 Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; celui-ci, en effet, l’un des Douze, allait le livrer.]

Et si Didier RIMAUD s’était inspiré de cette catéchèse eucharistique pour proposer, grâce à l’ensemble refrain-versets, une véritable synthèse biblique du Discours sur le Pain de Vie dans la cohérence intégrale du chapitre 6 de l’évangile de Jean ? De plus, cet ensemble ne permettrait-il pas d’offrir à ceux et celles qui le chantent une authentique mystagogie du rite de communion ?

 

 

 

Analyse du cantique dans son site liturgique

 

Dans notre premier article, nous avions constaté que Didier RIMAUD, pour sélectionner les versets du cantique, n’avait pris l’ordre chronologique du texte biblique originel. Nous allons tenter de comprendre sa logique rédactionnelle et à quoi peut correspondre cet apparent désordre. L’une des cinq caractéristiques du chant liturgique et de permettre, à ceux qui le chantent, de pouvoir entrer dans le mystère du rite qui l’accompagne. Composé pour la communion, est-ce que le cantique « Qui mange ma chair » ne permet-il pas de vivre une mystagogie ? Ce sera notre postulat de départ pour chercher à comprendre.

 

Le verset central de ce chant n’est autre que Jn 6,56 « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui ». Or n’est-il pas à lui seul un résumé du rite de communion ? N’est-il pas le verset par excellence, sur l’ensemble du Discours sur le Pain de Vie, qui peut évoquer poétiquement la consommation des espèces consacrées, l’acte même de communier ? Or n’est-ce pas ce qui va être mis en œuvre à travers le processionnal de communion ? De plus, chanter ce verset comme refrain perpétuel à cause de l’ostinato, au moment d’accomplir le processionnal de communion, n’est-ce pas créer une unité profonde entre le geste et la parole ? D’autant que l’exégèse de Jn 6,56 conduit à comprendre le mystère de la communion : consommer les espèces consacrées est un signe qui manifeste l’union profonde entre le croyant et son Seigneur. C’est l’Epiphanie de Celui qui a fait sa demeure non seulement parmi nous, en nous, mais pour y accomplir quoi ?

 

Comme nous l’avions découvert dans l’analyse musicale de ce cantique, Jn 6,56 est un verset divisible en quatre césures avec ce rythme syllabique : Kyprios (brève-longue-brève-brève-longue) et 3 Epitrites premier (brève-longue-longue-longue). Or nous avons découvert que ce rythme de versification est en parfaite harmonie avec la structure harmonique et rythmique des « Folies d’Espagne » en quatre périodes. Or la volonté de traiter cette composition par Jacques BERTHIER sous forme de chaconne va induire une unité interprétative originale. Tout d’abord, le fait de chanter en ostinato Jn 6,56 renforce sa gravitation et le désir de comprendre davantage ce qu’il signifie et ce que signifie « communier ». Par conséquent la forme musicale induit un lien implicite entre le verset du refrain et les versets des couplets qui seront des variations mélodiques et lyriques d’un thème plutôt harmonique et rythmique. C’est un peu comme si les versets des couplets, comme en écho, aidaient à comprendre ce que signifie le verset de l’ostinato. D’ailleurs, afin qu’ils puissent correspondre à la structure rythmique et harmonique de l’ostinato, Didier RIMAUD a été amené à réécrire certains versets des couplets. De plus, l’ostinato sur Jn 6,56 avec les autres versets superposés va donner l’impression que le texte biblique va se comprendre par lui-même : c’est-à-dire que ce sont les versets du Discours sur le Pain de Vie qui vont donner à comprendre le texte lui-même. Ainsi la sélection des versets des couplets par Didier RIMAUD semble subordonnée au verset de l’ostinato.

Ce traitement musical sous forme de chaconne va donc générer une mise en abyme interprétative où la clef de compréhension du Discours sur le Pain de Vie va se faire à partir du texte lui-même ! Ainsi les versets sélectionnés par Didier RIMAUD pour les couplets, vont aider à comprendre le verset principal Jn 6,56, qui lui-même nous aide à comprendre le mystère qui s’actualise à travers le rite du processionnal de Communion !

En sommes l’ensemble des versets sélectionnés sont subordonnés à cet objectif, à la fois pastorale et mystagogique : « avez-vous compris ce qui vient de se passer ? », tout comme la foule de l’évangile, qui après la multiplication des pains tente de comprendre ce qui vient de se passer grâce au Discours du Maître sur le Pain de Vie. Cela conduit à un questionnement intérieur et une adhésion dans la foi. Grâce à la forme musicale de la chaconne développée par Jacques BERTHIER, les versets sélectionnés par Didier RIMAUD, non seulement nous aident à entrer dans l’intelligence biblique du récit du Discours sur le Pain de Vie, mais en plus nous aident à entrer dans l’intelligence du mystère célébré à travers le rite de communion !  C’est pour cela que l’on peut aisément considérer ce cantique comme une authentique mystagogie du rite de communion, dans la plus pure tradition patristique où l’intelligence du rite s’accompagnait harmonieusement d’une intelligence de l’Ecriture[10].

 

 

Couplets de Didier RIMAUD

Versets d’inspiration du couplet

Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l´homme,

Vous n´aurez pas la vie en vous.

Si vous ne buvez pas le sang du Fils de l´homme,

Vous n´aurez pas la vie en vous.

Jn 6,53 Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.

Je suis le pain vivant :

Celui qui vient à moi

N´aura plus jamais faim ;

Celui qui croit en moi,

Plus jamais n´aura soif

Jn 6,35 Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif.

Ma chair est une vraie nourriture,

Mon sang est une vraie boisson :

Si vous mangez ma chair, si vous buvez mon sang

Au dernier jour je vous ressusciterai.

Jn 6,54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

Jn 6,55 En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.

Le véritable pain du ciel,

C'est mon Père qui le donne.

C'est moi qui suis le pain de Dieu,

Le vrai pain qui donne la vie !

Jn 6,32 Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.

Jn 6,33 Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »

Le pain que je donne, c'est ma chair ;

Ma chair pour la vie du monde.

Tel est le pain qui descend du ciel :

Celui qui le mange ne meurt pas !

Jn 6,50 mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas.

Jn 6,51 Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »

 

 

Nous pouvons constater que les cinq couplets semblent alterner entre deux parties bien distinctes du Discours sur le Pain de Vie au sein desquelles on met en exergue deux éléments objectifs : soit la chair/le sang, soit le pain. Les couplets 1 et 3 évoquent la chair et le sang. Quant aux couplets 2 et 4, ils évoquent le pain. Cette alternance va se résoudre avec le couplet 5 où l’on atteste que le pain est la chair.

L’évocation du pain, dans les couplets 2 et 4, repose sur une partie du Discours sur le Pain de Vie (Jn 6,30-35) où Jésus propose une nouvelle interprétation du don de la manne au désert (Ex 16,5 – 17,11) : le pain qui descend du ciel est une image de l’Incarnation du Fils de Dieu, le « Verbe fait chair », où ce dernier deviendra « nourriture ».  Mais Jésus révèle une nouvelle réalité qui n’est pas évoquée au sein du récit du don de la manne : le pain qui descend du ciel va maintenant donner la vie, celle de Dieu ; alors que le don de manne était là uniquement pour nourrir physiquement un peuple affamé. Avec cette nouvelle interprétation, que l’on peut qualifier de christologique, il y a une nouvelle signification de l’image du pain : il renvoie non seulement à l’incarnation mais aussi à la nourriture spirituelle. Ce nouveau « pain qui descend du ciel » va maintenant donner la vie de Dieu, c’est-à-dire la Vie éternelle.

Quant à l’évocation de la chair et du sang, dans les couplets 1 et 3, elle repose sur une autre partie du Discours sur le Pain de Vie où Jésus répond à l’interrogation des juifs qui se demandaient comment il peut nous donner sa « chair » à manger (Jn 6,52-59). Jésus révèle que sa chair livrée et son sang versé sont gages de Vie éternelle : par eux l’œuvre de la résurrection va s’opérer et c’est l’œuvre de Jésus-Christ. Ainsi, selon l’exégèse du Discours sur la Pain de vie, la « chair » renvoie à la mort de Jésus sur la Croix où il livra sa chair et il versa son sang : c’est le corps crucifié. Or de la mort de Jésus sur la Croix vont jaillir la résurrection et la Vie éternelle : c’est le corps glorifié. Ainsi la « chair » et le « sang » sont des images qui évoquent le mystère pascal selon l’évangile de Jean, c’est-à-dire le seul évangile qui insiste dans les récits d’apparition sur la spécificité visible et contemplée du corps du Ressuscité : le corps glorifié garde les stigmates du corps crucifié (apparition de Jésus à Thomas (Jn 20,24-31). Cela marque la permanence du passage de la mort à la vie par le centralisme de la Croix (Ps 21 (22), 16-17 et Jn 19,37), puisque c’est là que tout est accompli (Jn 19,30).

Ainsi, lorsque le couplet 5 va assurer une péroraison, associant le « pain » avec la « chair » et le « sang » : nous découvrons alors cette nouvelle signification comprise comme un mystère de Communion. Elle correspond à une autre partie du Discours sur le Pain de Vie où Jésus passe de sa nouvelle interprétation du don de la manne au désert à l’interprétation du fait qu’il est le Pain vivant descendu du ciel et en quoi il donne la vie (Jn 6,39-51). Le pain est en « communion » avec la chair, c’est-à-dire que ces deux images, véritables signes visibles, renvoient à plusieurs réalités invisibles : non seulement le mystère de l’Incarnation du Fils (couplets 2-4), mais aussi à la mort de Jésus sur la Croix où il livra son corps et son sang pour nous donner la Vie éternelle (couplets 1-3). Cependant, il est capital de noter que dans la progression narrative du Discours, le « pain » se révèle résolument subordonné à la « chair ». En fait, par son interprétation, Jésus propose une mise en abyme du terme « pain ». En écho au récit du don de la manne il est d’abord un « signifié », mais Jésus le fait devenir un « signifiant » pour l’associer au terme « chair », terme qui lui-même de « signifié » va devenir un « signifiant ». Ce jeu de mise en abyme narratif permet à Jésus de proposer cette interprétation originale du récit de la manne et décisive concernant la compréhension de l’Eucharistie.  Ainsi s’est bien l’ombre du Crucifié que l’on peut voir apparaitre sur le pain ! Le pain eucharistique est bien le signe, le mémorial de la mort (corps crucifié) qui conduit à la résurrection (corps glorifié) du Seigneur. Communier au Pain eucharistique, c’est communier au mystère pascal du Seigneur mais aussi déjà communier à la Vie éternelle qu’il est venu nous donner.

 

 

 

Une catéchèse eucharistique

 

On peut dire que Didier RIMAUD propose à sa manière une catéchèse eucharistique, véritable synthèse des axes majeurs du Discours sur le Pain de Vie. En effet, on peut considérer que d’un point de vue exégétique ce Discours johannique est tripartite, rythmé par les réactions des juifs, qui à chaque fois, se posent des questions dont l’auteur semble les appliquer aux fidèles qui sont en train de communier au moment de chanter.

Tout d’abord Jésus commence par commenter à nouveau frais le don de la manne au désert (Jn 6,25-40) Puis, face à la réaction des juifs qui se demandent comment il peut être ce Pain venu du Ciel, Jésus va approfondir son commentaire pour révéler ce que cela signifie : le pain descendu du ciel c’est sa chair (Jn 6,41-51) ! Enfin, toujours suite aux réactions polémiques des juifs qui se demandent comment Jésus peut donner sa chair en nourriture, il poursuit l’approfondissement de son commentaire pour révéler ce que cela signifie : Donner sa chair en nourriture préfigure sa mort sur la Croix (Jn 6,52-58). C’est pourquoi, en faisant un va et vient entre les éléments objectifs de la chair/sang et du pain, dans un jeu de signifiants /signifiés, Didier RIMAUD reconfigure cette structuration tripartite de l’évangile de Jean pour conduire ceux et celles qui chantent le cantique à prendre conscience que communier au pain eucharistique c’est communier au mystère pascal, à la Vie éternelle (signifié), celle qui était (Jn 6,57), qui est (Jn 6,56) et qui vient (Jn 6,53-54). C’est vivre déjà en ressuscité parce qu’en faisant sa demeure en nous, Jésus y perpétue et y renouvelle son œuvre de Salut !

 

Comme il semble souhaiter faire de ce cantique une authentique mystagogie du rite de communion, Didier RIMAUD sélectionne et reconfigure des éléments de ce récit évangélique.

Par l’ostinato, les fidèles se concentrent indirectement sur le rite de communion : celui de manger et boire les espèces consacrées (pain et vin) que l’on désigne explicitement par « corps » et « sang » du Christ. Mais qu’est-ce que signifie communier au « corps et sang du Christ » ? Que signifie manger le « corps du Christ » ? Que signifie boire le « sang du Christ » ?

Le couplet 1, par contraste antinomique, va prendre la négation de la communion : celle de ne pas manger, celle de ne pas communier. Cela entraînera une conséquence : ne pas avoir le Vie divine en nous. Le couplet 1 rappelle la finalité incontournable de la communion eucharistique : celle de communier à la Vie éternelle de son Seigneur.

Puis les fidèles vont cheminer à travers les autres couplets où se joue cette alternance entre les éléments objectifs de la « chair » et du « pain ». Pourquoi cette alternance si ce n’est parce qu’elle constitue la dimension résolument oxymorique du rite du communion : nous voyons de nos yeux du pain et pourtant on le désigne comme « Corps du Christ ». Cette alternance voulue par Didier RIMAUD va permettre de comprendre ce que peut signifier cette dimension oxymorique somme toute intrigante. Non seulement, comme jadis avec le don de la manne, on se demande ce qu’est ce « pain » (Mann ’hou voulant précisément dire qu’est-ce que c’est ?), mais en plus on se demande ce qu’est le « corps du Christ ». Si le couplet 1 commence par se demander ce que peut désigner la « chair » avant le « pain », cela nous montre que seulement à la lumière de la compréhension du premier, on peut comprendre le second ! Voilà pourquoi on commence l’alternance au couplet 1 par la « chair » plutôt que le « pain ». D’ailleurs, dans le Discours sur le Pain de Vie, l’importance de la compréhension de l’expression « chair » est capitale : elle constitue bien le nœud dramatique, car lorsque Jésus désigne sa « chair » comme le « pain qui descend du ciel », il suscite l’indignation profonde (Jn 6,35 et Jn 6,41). Cette expression constitue le nœud de l’exégèse opérée par Jésus lui-même concernant le don de la Manne, mais surtout elle devient la préfiguration de sa mort sur la Croix et la nouveauté qu’il est venu nous révéler : le partage de la Vie éternelle par la Résurrection. L’enseignement de Jésus selon l’évangile de Jean commence par interpréter le signe du « pain », mais conduit à se concentrer davantage sur la signification de sa « chair », et ce par principe de subordination !

Ainsi les fidèles comprennent progressivement que communier au Pain Eucharistique, signifie communier au mystère pascal : c’est-à-dire d’abord au mystère de la mort du Jésus-Christ sur la Croix, où il livra son corps et versa son sang, afin de communier à sa vie de Ressuscité. Nous pouvons comprendre qu’en venant communier on voit de nos yeux le Pain Eucharistique, mais nous sommes surtout invités à y reconnaitre le « Corps du Christ » c’est-à-dire d’abord le corps crucifié ; car du mystère de la Croix du Seigneur jaillissent le sang et l’eau, véritable Fontaine et source du Salut jaillissante en vie éternelle (Jn 4,14) ! C’est pourquoi, par l’expression « Corps du Christ », on désigne également le corps glorifié du Ressuscité.

En sommes, on voit le pain partagé et l’on y reconnait le corps crucifié, en même temps le corps glorifié de son Seigneur. Or n’est-ce pas une expérience analogique à celle de Thomas, huit jours après la Pâques ? Le rituel de communion nous invite à perpétuer l’expérience pascale thomasienne.

De plus, n’est-ce pas ce qu’a voulu faire Jésus suite à la multiplication des pains ? Les disciples ont vu du pain en abondance, ils ont été nourris à satiété. Mais Jésus, par son discours, tente de leur montrer que ce pain n’est pas un pain ordinaire, humain, pour une faim terrestre. Mais il annonce déjà, par ce pain multiplié, le mystère de sa Passion et de sa Résurrection. Sommes-nous prêts à croire en un tel mystère ? En tous cas la finale du Discours sur le Pain de Vie nous montre que non, puisque beaucoup de disciples partirent…

L’intelligence de l’Ecriture, partagée par Didier RIMAUD grâce à la reconfiguration des versets de l’évangile qui est tout sauf du désordre, nous conduit à l’intelligence des signes sacramentels, dans leur dimension oxymorique, à travers le rite de communion.

 

 

 

Pour conclure

 

A travers le rite de communion, il y a ce que l’on voit et ce que l’on entend.

Or avec son Ostinato dont le verset johannique nous concentre sur le fait de « manger » et de « boire » la « chair » et le « sang », ce cantique nous plonge dans l’intelligence de l’acte même de communier : qu’est-ce que cela signifie ?

Avec ses couplets et son alternance entre l’élément objectif de la « chair » puis celui du « pain », ce cantique nous plonge dans la compréhension de la tension oxymorique qui constitue l’acte même de communier : à savoir l’audition d’un désignation « le corps du Christ » s’accompagnant de la vision du « pain » auxquels nous répondons par une adhésion de foi à travers un « Amen ». Cependant nous avons découvert qu’en parfaite synchronie avec l’intelligence de l’Ecriture selon Jean, ce cantique nous invite d’abord à comprendre ce que nous entendons, pour en conséquence mieux comprendre ce que nous voyons ! Ainsi la pédagogie de ce cantique est d’abord de nous faire prendre conscience de ce que nous avons entendu : que signifie « le corps du Christ » ? ; pour en conséquence mieux prendre conscience de ce que nous voyons : que signifie cette « fraction de pain » présentée ostensiblement devant nous ?

 

C’est pourquoi, en synchronie parfaite avec l’intelligence du Discours sur le Pain de Vie, ce cantique nous rend davantage attentif à ce qui s’entend avant ce qui se voit ! Entendre pour mieux voir ! C’est en comprenant davantage ce que signifie l’expression « Corps du Christ » que l’on a entendu par les oreilles, que l’on pourra mieux comprendre ce que signifie le « pain » que nous voyons par les yeux.

Ce sont les oreilles qui ouvrent nos yeux à la grandeur du mystère de la foi, comme jadis la seule voix du Seigneur ressuscité ouvrit les yeux de Marie-Madeleine au matin de Pâques pour qu’elle puisse le reconnaitre (Jn 20,11-18) ! Cette reconnaissance passera, comme à la fin du chapitre 6 de l’évangile de Jean, par une adhésion de foi qui se concrétise par notre réponse : « Amen » !

La cohérence du cantique est en parfaite synergie avec la cohérence du lectionnaire où le Discours sur le Pain de vie en Jean va permettre de comprendre, de commenter le récit de la multiplication des pains.

 

Ainsi l’assemblée qui vient communier en chantant ce cantique devient comparable, à travers la communion eucharistique, à cette foule immense nourrit par son Seigneur, où s’actualise le récit de la multiplication des pains et où le Discours sur le Pain de Vie en devient une mystagogie !


-------------------------------------------------------------------------------------------------------------

[1] Association Episcopale Liturgique pour les pays Francophone (AELF), Découvrir le Lectionnaire Romain, Présentation générale du Lectionnaire Romain, Paris, Mame, 2014, p.13-108

[2] AELF, Découvrir le Lectionnaire Romain, Présentation générale du Lectionnaire Romain n°67, Paris, Mame, 2014, p.55

[3] Ibid., n°105, p.78

[4] Ibid., : « Dans l’année B, on insère après le 16ème Dimanche cinq lectures tirées du chapitre 6 de Jean (discours sur la Pain de Vie) ; l’insertion se fait de manière naturelle, en remplaçant le récit de la multiplication des pains de Marc par celui de Jean. »

[5] AELF, Découvrir le Lectionnaire Romain, Présentation générale du Lectionnaire Romain, Tableaux 7-8-9, Paris, Mame, 2014, p.104-106

[6] Ibid., Tableau 3, p.98-99

[7] Ibid., Tableau 4, p.100

[8] Ibid., Tableau 5, p.101-102

[9] Ibid., Tableau 6, p.103

[10] J. Daniélou, Bible et Liturgie, Coll. Lex orandi, Paris, Cerf, 1951, p.10-11 : « Ainsi la typologie sacramentaire n’est qu’une forme de la typologie en général, de l’analogie théologique entre les grands moments de l’Histoire Sainte. Mais dans le cas des sacrements, il y a un problème nouveau qui se pose. En effet, les sacrements comprennent deux aspects. Il y a d’une part la réalité qui est accomplie. Et cette réalité est dans la continuité des œuvres de Dieu dans les deux Testaments. Mais il y a aussi le signe visible, eau, pain, huile, baptême, repas, onction, par le moyen duquel s’opère l’action de Dieu. C’est là, à proprement parler, le signe, le symbole sacramentel. Ce signe, comment faut-il l’interpréter ? A-t-il seulement la signification naturelle de l’élément ou du geste qu’il utilise : l’eau lave, le pain nourrit, l’huile guérit. Ou bien a-t-il une signification particulière. […] Nous aurons donc là une typologie qui portera non plus sur le contenu des sacrements, mais sur leur forme même et qui nous permettra que c’est à juste titre que nous les voyons figurés par l’Ancien Testament, puisque c’est pour cette raison qu’ils ont été choisis par le Christ. »

Comments


  • Facebook
  • LinkedIn
  • Twitter
  • YouTube

© 2020 par Emmanuel BOHLER. Créé avec Wix.com

bottom of page