Qui mange ma chair
- bohleremmanuel
- 17 avr. 2024
- 3 min de lecture
Commentaire du cantique "Qui mange ma chair"
Cote : D290
Article publié par l’Union Sainte Cécile, dans la revue CAECILIA du Service Diocésain de Pastorale Liturgique et Sacramentelle, de musique et d’art sacré de l’archidiocèse de Strasbourg.
N°02, édition de mai 2024.

La multiplication des pains, école italienne XVIIème siècle
Evoquer le cantique « Qui mange ma chair », c’est évoquer un répertoire qui marqua toute une génération dans les années 1990 et trouva en outre, à juste titre, une place de choix dans le répertoire des grands rassemblements comme des paroisses, même les plus modestes. Il incarne une véritable tradition vivante que nous allons redécouvrir ou découvrir pourquoi.
La structure fondamentale est un ostinato harmonique qui n’est autre que celui des Folies d’Espagne. La Folia, ou folies d’Espagne, est une danse venant du Portugal et apparue au XVème siècle. Depuis le XVIIème siècle on dénombre plus de 150 compositeurs parmi les plus illustres qui composèrent des variations sur sa progression harmonique et rythmique. De plus sa progression harmonique inspira des compositeurs depuis Jean-Sébastien Bach dans ses cantates, jusqu’à aujourd’hui !
Par exemple dans les mêmes années 1990, le film « Tous les matins du monde » (1991) d’Alain Corneau présente le jeune compositeur Marin Marais (1656-1728) devant passer, auprès de Monsieur de Sainte-Colombe (1640-1700), une épreuve qui n’était autre que l’improvisation de variations sur « l’air des folies ». De même en 1992, le compositeur Vangélis (1943-2022) emprunta la progression harmonique des Folies pour composer la bande originale du film « 1492-Christophe Colomb ».
En s’inspirant des Folies d’Espagne, Jacques Berthier s’inscrit dans cette tradition, mais surtout il va déployer ce thème dans la plus pure tradition baroque. En effet, il va le traiter comme une chaconne, c’est-à-dire un thème et variations mais avec cette caractéristique précise : le thème sera harmonique et rythmique et les variations deviendront, par contraste, mélodiques et lyriques.
Le thème des Folies est de forme binaire A-A’. Harmoniquement A s’achève avec une demi-cadence et A’ avec une cadence parfaite. Danse à trois temps, rythmiquement A et A’ se divisent en 4 périodes identifiables par cette structure : longue-longue-brève- longue-longue-longue.
Jacques Berthier va adapter cela pour composer la musique de l’ostinato qui servira de refrain facilement mémorisable. De forme A-A’, on passe à quatre temps, mais on conserve la division en 4 périodes grâce à cette rythmique brève-longue-longue-longue. Didier Rimaud va choisir quant à lui un verset du Discours sur le Pain de vie (Jn 6,22-71) pouvant s’adapter à cette structure rythmique. Le verset Jn 6,56 qui constitue le refrain lui correspond : divisible en 4 césures avec ce rythme syllabique : Kyprios (brève-longue-brève-brève-longue) et 3 Epitrites premier (brève-longue-longue-longue).
Les 5 couplets proposeront des variations mélodiques et lyriques de l’ostinato harmonique et feront entendre des adaptations d’autres versets du Discours sur le Pain de Vie en guise de textes. En voici la sélection :
1. Jn 6,53
2. Jn 6,35
3. Jn 6,55 et Jn 6,54
4. Jn 6,32 et Jn 6,33
5. Jn 6,51 et Jn 6,50
On peut remarquer que les versets ne suivent pas un ordre croissant par rapport au texte évangélique. Ce point méritera une étude plus approfondie[1] pour tenter de comprendre la démarche de Didier Rimaud.
A cet ensemble, Jacques Berthier composa une riche partie instrumentale d’accompagnement dont le déploiement progressif fait de ce cantique une véritable petite cantate !
Enfin, dans le cadre de l’année liturgique B, ce cantique peut être particulièrement utilisé entre le 17ème et le 21ème dimanche du Temps Ordinaire puisque l’on y interrompt la lecture continue de l’évangile de Marc pour y entendre l’intégralité du Discours sur le Pain de vie selon Jean.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
[1] Une étude sur le rapport couplet/Evangile de Jean est disponible en complément numérique à cet article.
Comments