" Source vive, feu, charité, invisible consécration… " (Version développée)
- bohleremmanuel
- 27 juin 2022
- 10 min de lecture
Libre commentaire biblique de la deuxième strophe de l'hymne "Veni Creator".
Version originale développée qui est à l'origine du commentaire d’évangile pour le 13ème dimanche du Temps Ordinaire (Lc 9, 51-62 ; année liturgique C ; dimanche 26 juin 2022). Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO au sein de l'édition du 24 juin 2022.

Evangile pertinent en ces périodes d’ordination, finalement totalement inconnu, parfois même oublié. Et pourtant quel est ce Feu dans lequel Jésus est venu nous embraser et qui semble l’élément central ?
Retour sur cette Pentecôte particulière dont l’hymne Veni Creator en fait percevoir des harmoniques lointaines.
Si le mystère plane encore, tant sur la datation (IXème siècle) que l’auteur (un lettré carolingien influencé par la réforme clunisienne ?), l’hymne Veni Creator est tout de même considérée, avec la séquence Veni Sancte Spiritus, comme un chef d’œuvre poétique d’une rare intensité.
Cette hymne correspond parfaitement aux critères spécifiques qui caractérisent le genre littéraire propre à la liturgie chrétienne : sobre et épuré, concision, précision, mesure. Voici un exemple extrait de la deuxième strophe : « Qui diceris Paraclitus - Altissimi donum Dei - Fons vivus, ignis, caritas - Et spiritalis unctio » que l’on peut traduire par : « Tu seras appelé le Conseiller – Le don le plus élevé de Dieu – Source de vie, de feu, de charité – et onction spirituelle ».
En chantant et en entendant les mots de cette strophe, nous ne voyons pas toujours le fin tissage, la splendide dentelle biblique dont le maillage provient de l’Ecriture. Cette strophe met en lumière un lien profond entre christologie et pneumatologie, car en invoquant l’Esprit-Saint, par le choix des expressions on invoque également le Fils ! Par exemple le terme « paraclitus » pouvant se traduire par « défenseur » (promesse de Jésus énoncée en Jn 14,16) mais aussi par « conseiller » qui est un écho avec Isaïe (Is 9,5) concernant la prophétie de l’Emmanuel. Si l’Esprit est le plus grand don de Dieu, ce dernier est associé à un autre don tout aussi grand : le mystère de l’Incarnation où le Père nous donne son Fils (Jn 3,16). Le Père nous donne son Fils à Noël et nous donne l’Esprit à la Pentecôte : l’un ne va pas sans l’autre ! La « fontaine de vie, de feu, de charité » désigne indirectement l’œuvre de Salut : or où est cette fontaine si ce n’est sur le côté ouvert du Crucifié d’où jaillissent le sang et l’eau (Jn 5,8 ; Jn 19,34 ; 1 Jn 5,7) ? N’est-ce pas la pneumatologie propre à l’évangile de Jean qui semble guider l’auteur de l’hymne faisant du mystère de la Croix la source d’une Pentecôte ? Enfin l’évocation de « l’onction spirituelle » rappelle cette célèbre évocation d’Isaïe (Is 61) qui sera d’ailleurs reprise par Jésus (Lc 4,18) à la synagogue de Nazareth. Le terme « onction » convoque une complexité d’interprétation sémantique, puisque dans l’Ancien Testament les prêtres, les prophètes et les rois furent désignés dans leur missions au moyen de l’huile sainte. De plus, les terme hébraïques « Messie » ou « oint » sont des concepts dont le sens n’est pas unifié dans l’Ecriture. Il est intéressant de noter que les deux termes « oint » ou « Messie » seront traduit en grec dans le Nouveau Testament par un seul terme « Christos ». Cependant, seul l’évangile de Jean, à deux reprises (Jn 1, 41 et Jn 4,25) distinguent entre « Christos » (traduction d’oint) et « Messie » (emploi d’un autre terme). Ce qui confirme que le messianisme chrétien, tout en développant le messianisme hébraïque, le dépasse car Jésus doit être à la fois « roi davidique » et « grand-prêtre ». Ici la pneumatologie nous conduit à faire de la christologie : on ne peut comprendre le Saint-Esprit sans comprendre qui est Jésus-Christ !
La sobriété, la concision et la précision des mots et expressions choisis laissent à penser qu’à travers eux, l’auteur inconnu cristallise tout une tradition herméneutique de l’Ecriture. Les mots de l’hymne sont comme une condensation, un précipité d’éléments provenant de l’interprétation de l’Ecriture. Interpréter l’Ecriture nous conduira au sens des mots de l’hymne.
Pour cela tentons ce pèlerinage aux sources,
Pour comprendre,
revenons à l’évangile !
Tout commence par un premier volet…
Jésus descend de la montagne (mon Thabor sans doute) à la suite de sa Transfiguration (Lc 9,28-37) et se détermine à aller à Jérusalem y souffrir sa Passion (Lc 22,14 – 23,56). Comme l’annonçait le prophète Isaïe, voici que Jésus envoie ses messagers (Is 52 - 53) pour préparer sa venue (Is 40,3). Une passation de pouvoir est en train de se préparer entre le Maître et ses disciples comme jadis entre le prophète Elie et Elisée. Passation initiée et racontée au sein de ces 13 chapitres où l’évangéliste nous délivrera entres autres les paraboles sur la Miséricorde. Est-une préparation à être consacré dans l’Amour ?
La mention que Jésus allait être enlevé au ciel, est un rappel direct par l’évangéliste de l’ascension d’Elie (2 R 2). Comparable à un « nouvel Elie », Jésus prépare déjà ses disciples à prendre sa suite. D’ailleurs n’est-ce pas cette même allusion que l’on fera au début de l’évangile pour qualifier le dernier des prophètes Jean-Baptiste, devant préparer sa venue dans le monde et annoncer le sens de sa missions messianique (Lc 1,17) ? N’est-ce pas lors de sa crucifixion, au moment crucial où criant qu’il remet son esprit à son Père, qu’il expira (Lc 23,46) ? Remettant presque symboliquement les deux souffles divins de la Genèse : le souffle créateur (Gn 1,1-5) et l’haleine de vie (Gn 2,7). C’est bien sur la Croix qu’aura lieu cette passation, confirmée à la Pentecôte (Ac 2,1-36) pour que les disciples puissent être envoyés en son Nom Alors quel sera cet Esprit, quel sera le Manteau dont ils seront revêtus, quel Feu descendra du ciel ? Finalement dans quel Esprit les disciples seront-ils consacrés, puisque l’onction de Pentecôte semble être une onction qui les associe plus étroitement au mystère de la Croix du Seigneur ?
Cependant la mission des disciples est un échec. Les Samaritains ne veulent pas suivre Jésus puisque ce dernier va se rendre à Jérusalem. Les Samaritains n’étant déjà pas en odeur de sainteté pour les juifs de Jérusalem et inversement, ils ne vont pas se compromettre davantage en allant là-bas. Face à ce refus et mis en exergue par les disciples et la réprimande de Jésus, le Feu est bien un élément central. Comme pour l’Exode, est-ce le Feu de la colère divine (Ex 9,23 ; Nb 11,1) demandé par les disciples à la suite de l’échec de leur mission en Samarie ? Ou bien est-ce le Feu pour un culte nouveau et restauré, comme pour le prophète Elie sur le mont Carmel qui confondit les prêtres idolâtres de Balaam (1 R 18,18-40 ; 2 R 1,10-14) ? Si Jésus réprimande les disciples, c’est que le Feu qu’il fera descendre ne sera certainement pas le Feu de la colère ou celui de la vengeance pour les Samaritains qui n’ont pas soutenu sa cause. Ce détail est capital, car jamais les chrétiens ne pourront avoir un agir subordonné à la vengeance. Si la rancœur intérieure alimente et met en mouvement un agir, alors c’est qu’il ne s’agit pas de l’Esprit de Dieu !
Puis vient un deuxième volet constitué de trois questions concernant l’appel à suivre Jésus.
Cependant on peut remarquer que le sujet n’est pas le même. La première et la troisième question met en lumière la demande des disciples pour savoir comment suivre Jésus. Ceux sont eux qui manifestent d’abord leur désir de suivre Jésus. Seule la deuxième question est un appel direct de la part de Jésus à le suivre. Finalement l’appel repose bien sur deux désirs : ceux des disciples voulant suivre leur Maître, et celui du Maître voulant qu’on le suive. Au fond, il n’y a pas d’appel sans cette réciprocité et ce dialogue.
Revenons plus en détail pour chacune d’elles.
Pour la première question, Jésus répond en deux temps.
Il y a tout d’abord l’énoncé d’un bestiaire dont les figures sont très évocatrices chez les prophètes. Pour le prophète Ezéchiel par exemple, le renard, par sa ruse et son instinct de prédateur, est l’image du faux prophète (Ez 13,4) qui corrompt l’Alliance avec Dieu (Jg 15, 4-6). Quant à l’oiseau, il est étroitement lié à l’image de l’arbre qui représente l’Alliance entre Dieu et les hommes. En l’occurrence il s’agit du Cèdre du Liban (Ez 31,3-9). L’oiseau est donc celui qui va faire son nid dans un Cèdre du Liban, c’est-à-dire qu’il va bénéficier de la protection et des largesses de l’Alliance avec Dieu. Mais pour le prophète Ezéchiel, le Cèdre, sera aussi l’image d’une alliance corrompue à cause de la manifestation du péché des origines (Gn 3,1-24) ; c’est-à-dire comme pour la Tour de Babel (Gn 11,1-9), l’orgueil fera que les hommes se sépareront de l’Alliance avec Dieu et voudront s’élever contre Dieu. Aussi le Cèdre sera détruit à cause de cet orgueil et de cette infidélité envers la Loi du Seigneur (Ez 31,10-15). Ses débris serviront tout de même de refuge pour les oiseaux. Les ruines d’une Alliance seront toujours profitables et finalement les faux prophètes s’en sortent toujours et sont mieux entretenus en apparence que les vrais ! Ces derniers connaissent la pauvreté et le rejet. A travers l’évocation de ce bestiaire, c’est surtout un appel à la fidélité malgré les épreuves et le rejet à venir.
Aussi lorsque Jésus évoque cette solitude allant jusqu’à ne rien avoir pour reposer la tête, il semble précisément faire allusion à la solitude du prophète Elie qui dû fuir après avoir confondu les prêtres de Balaam. Lui, le seul à être demeuré fidèle à l’Alliance se retrouvait seul, rejeté de tous, devant s’exiler dans un désert pour sauver sa vie. Lors de sa Passion, Jésus connaîtra la même chose : il sera seul mais lui donnera sa vie. Aussi pour demeurer fidèle, il faut une force : comme pour Elie qui recevaient là où il reposait sa tête nourriture et breuvage de la part de l’ange (1 R 19,1-8) pour avancer jusqu’à la montagne de Dieu. On met en lumière la seule force nécessaire : la Grâce !
Le bestiaire du prophète Ezéchiel et l’allusion directe à la fuite du prophète Elie jusqu’à l’Horeb mettent en exergue l’Alliance avec Dieu et la fidélité envers elle ! Mais surtout, plus subtilement, on montre que la fidélité envers l’Alliance ne repose plus sur le mérite ou sur la volonté, mais bien sur la Grâce. Le volontarisme doit diminuer pour que la confiance envers la Grâce seule grandisse. Centrée sur la Grâce, la fidélité est un don de Dieu. Et si le Feu descendant sur la terre et consacrant les disciples, devenait l’image de ce don de Dieu pour demeurer fidèle ?
Pour la deuxième question, Jésus appelle à un dépassement de foi.
L’enterrement est une allusion à Joseph qui avait fait serment à son père Jacob de l’enterrer en Canaan plutôt qu’en terre d’exil (Gn 50,1-8). On peut comprendre ce serment lorsque l’on est un peuple en exil qui attend la délivrance et le Messie. On veut enterrer un mort dans la Terre « promise » où Dieu a jadis manifesté son œuvre de Salut : véritable promesse « d’à venir ». Mais la nouveauté radicale est Jésus lui-même ! Il est venu dans le monde, il est présent. Alors qui ‘est-il pour nous, comme jadis il posa la question aux apôtres « pour vous qui suis-je ? » (Lc 9, 18-22). C’est donc un appel à poser un regard de foi sur lui. C’est reconnaître en Jésus le Bon Pasteur (Jn 10,4) ! Si jadis on attendait une espérance, pour le chrétien cette espérance c’est Jésus lui-même ! C’est Lui qui vient nous visiter, alors pourquoi craindre pour ses morts puisqu’il est le Maître de la Vie qui peut tout ! Pourquoi avoir peur de la mort, puisqu’il est en face de vous ? Ne va-t-il jusqu’à libérer les morts pour les conduire jusqu’aux portes du Ciel et leur entrouvrir le lieu du repos éternel (Ps 22) ? Ainsi le Feu que Jésus fera descendre sur la terre et qui consacrera les disciples, les associera pleinement à son œuvre de résurrection, comme jadis l’Esprit était à l’œuvre pour l’épisode des ossements desséchés (Ez 37,1-10).
Pour la troisième question, Jésus répond par un dépassement de soi.
Les adieux et la charrue sont autant d’allusion directe à Elisée lors de sa première rencontre avec Elie (1 R 19,19-21). Après avoir salué sa famille, il brûla sa charrue et son attelage. Cependant, cette scène est décrite comme s’il s’agissait d’un authentique sacrifice, comme si Elisée agissait déjà comme un prêtre. Ainsi son renoncement est ici oblation, offrande de tout ce qui a constitué sa vie. Il y a presque une relecture de type sacerdotale et plus radical de l’épisode de la vocation d’Abraham (Gn 12, 1-5). Lorsque ce dernier devait tout quitter et partir sans savoir où aller, il prit sa famille et ses biens avec lui. Or là Elisée n’emporte rien avec lui. Au contraire cette offrande de tout ce qu’il a été dans le passé, semble avoir été faite pour être totalement libre dans le présent, afin de suivre Elie vers un futur dont il ne connait encore rien. La liberté d’Elisée pour devenir le successeur d’Elie, et d’être comme lui « instrument de la Grâce », est fondée sur cette dynamique d’offrande de lui-même. C’est donc en offrant et en s’offrant que l’on devient libre dans l’aujourd’hui pour répondre et suivre un appel. Ainsi le Feu que Jésus fera descendre sur la terre permettra aux disciples d’entrer dans le mystère de l’offrande et d’être de plus en plus « libre » selon l’Esprit » (2 Co 3,17).
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A travers ces trois questions, on peut donc y discerner trois caractéristiques de ce Feu que Jésus ferra descendre sur la terre pour consacrer ses disciples :
un Feu de fondation dans la Grâce et non plus sur la volonté pour demeurer fidèle à l’Alliance scellée sur la Croix : mystère de la Charité !
un Feu pour être associée à l’œuvre de la Résurrection : mystère d’une source vive !
un Feu pour entrer dans une mystique d’offrande, source de la liberté évangélique : mystère d’une invisible consécration !
N’est-ce pas ce Feu que l’on invoque à chaque fois que l’Eglise met sur ses lèvres l’hymne Veni Creator ?
Ce Feu n’est-il pas une fontaine de vie, de Charité, d’onction ?
Ici les mots de l’hymne,
dans leur choix épuré,
ravivent pour nous
ces harmoniques évangéliques
insoupçonnées !
Ce Feu que les chrétiens reçoivent par l’onction de Saint-Chrême sur la tête lors du baptême…
Ce Feu que les chrétiens reçoivent par l’onction de Saint-Chrême sur le front lors de la confirmation…
Ce Feu que les prêtres reçoivent par l’onction de Saint-Chrême dans la paume des mains lors de l’ordination…
Alors comment cette page d’évangile
ne pourrait-elle pas raviver en nous ces marques,
ces vestiges du passé,
indélébiles…
Et nous faire ressentir à nouveau,
car ils sont tels des stigmates,
ces lieux de nos corps
où nous avons été marqués,
brûlés,
consacrés par ce Feu ?
Que ce Feu nous embrase !
Que ce Feu nous consume sans cesse !
Que ce Feu répande toujours en nous l’Amour du Père !
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