Recension du livre "Barbe Bleue" d'Amélie NOTHOMB
- bohleremmanuel
- 27 nov. 2020
- 4 min de lecture
Diffusée sur les ondes de Radio Jérico. Direct pour la rubrique "Paroles d'Evangile" au sein la matinale de Thierry GEORGES.
Septembre 2012.
Livre sorti en librairie le 5 septembre 2012
« BARBE BLEUE » est le dernier livre d’Amélie NOTHOMB, sorti pour cette rentrée littéraire du 05 septembre 2012.
Il s’agit d’une réécriture contemporaine du célèbre conte de Charles PERRAULT datant de 1697. De cet homme dont aucune femme ne veut et qui arrive à en épouser une, avec comme seul exigence lorsqu’il part en voyage, de ne pas entrer dans une chambre dont il lui donne la clef.
Il s’agit de l’histoire, en écho à cette chanson des année 1980 de Daniel BALAVOINE, d’un homme espagnol, aristocrate, un « grand », Don Elemirio et d’une femme Saturnine, travaillant à l’école du Louvres mais étant Belge d’origine.
Les personnages sont aux multiples visages !
Car l’homme est à la fois un « grand » avec des cotés Orphéiques, de Don Juan, de Dracula, de Landru…
Tour à tour catholique combattant, avec le sang d’un espagnol comme pouvait l’avoir saint Ignace de LOYOLA...
Et maniaque, d’un esthétisme criminel où même le meurtre doit se faire avec élégance et style : bref pas de vulgarité !
La femme est, quant à elle, tour à tour séduite et horrifié !
Craintive et subjuguée !
Libre et prisonnière !
Objective et subjective !
Amoureuse passionnelle et révulsée !
L’attirance et le rejet !
Bref, tout comme Phèdre, elle est ambivalente.
L’histoire évolue sur plusieurs registres…
On commence par la recherche d’une colocation pour une jeune enseignante qui souhaite quitter sa banlieue. Don Elemirio invite Saturnine à venir habiter chez lui. Mais elle découvre que les femmes sont attirées par cet homme mystérieux, vivant comme un ermite renfrogné et qui par huit fois déjà a cherché des colocataires féminines qui ont toutes disparus...
Mortes ? Assassinées ?
On passe alors à l’enquête semi policière par Saturnine, qui aux accents d’un Hercule POIROT au féminin, cherche à élucider ce mystère : est-il oui ou non l’assassin ? Alors la lecture se trouve amplifiée par ce suspens : qui est donc coupable ?
De cette fascination d’enquêtrice, de cette soif de vérité, de fascination, il y a un « secret bien gardé » : la fameuse « chambre noire » ! Lieu sous le coup d’un interdit sous peine de mort, où un peu comme l’interdit d’Orphée de voir Eurydice sous peine de disparaitre à tout jamais !
La « chambre noire » de notre « grand d’Espagne », qui est photographe à ses heures perdues, devient un lieu où se cristallisent l’interdit, la mort, le mystère de la photographie dans sa capacité de capter et de fixer le présent dans l’éternité, comme pour enfermer le visage des morts dans une vie arrêtée. Semblant d'éternité?
Ainsi la « pièce noire » devient ce lieu vide, inconnu, absent, où se vie la transformation, comme en chrysalide, des sentiments des personnages.
Tout s’y croise, dans ce lieu géographique où tout ne semble qu’obscurité et néant et où personne ne rentre ! Une sorte de « saint des saints » ! C’est là que l’amour voit sa naissance, au milieu des contradictions !
Avec cet espace inconnu, paradis perdu, sauvegardé et dont le franchissement, véritable sacrilège punissable de mort, devient le lieu initiatique pour y découvrir la beauté de l’amour, pudique, mystérieux, caché !
Passant par toutes les étapes de la volupté (cuisine, champagne, lingerie, narcissisme de la pause photo...) l’amour s'épure, devient solide, sûr, précisément dans ce non franchissement du mystère !
Saturnine, en voulant mener son enquête, se prend elle-même au jeu et devient amoureuse de celui qui est peut-être potentiellement son futur assassin !
Il faut bien être Amélie NOTHOMB pour mettre au point un tel scénario, où le crime est tellement bien prémédité que l’auteur en arrive à en y être disculpé !
Alors que Saturnine est à deux doigts de vouloir entrer dans la « chambre noire », voilà qu’elle fait une sorte d’expérience spirituelle, une « résurrection », redécouvrant le Cantique des Cantiques.
Or ce livre biblique est puissant dans la mesure où il parle d’un amour si charnel, mais au combien spirituel parce qu’étant une quête perpétuelle de l’être aimé ! Aucun ne met la main sur l’autre ! La Bien-Aimée doit entrer dans la chambre du Bien-Aimé, mais n’y rentre jamais car elle le cherche tout le temps ! Personne ne peut se permettre dire posséder l’autre ! L’intimité y est présentée comme ce « saint des saints », lieu sacré !
Et pourtant Saturnine, la bien-aimé éprise de son assassin potentiel, entre dans la chambre noire parce que Don Elemirio l’a fait rentrer ! Elle a su ne pas transgresser l’interdit, alors elle peut y entrer !
L’amour, le vrai, et alors un amour éprouvé ! Et là tout s’inverse parce que l’assassin devient lui-même la victime de son propre piège : il y meurt. Saturnine devient-elle un assassin entre amour et vengeance !
Cela reste mystérieux et peu laisser le lecteur sur une note d’inachevé! Mais après tout, sommes-nous assez éprouvés pour être digne d’entrer dans la chambre du dénouement ?
En tous cas, voilà un amour scellé dans la mort qui comme une photo, sera éternisé dans le temps : la photographie devient alors la métaphore de l’amour éternel scellé dans la mort !
Amélie NOTHOMB, avec son style narratif arrive à écrire la jouissance au moment de la mort (pour la femme) ou la tentative de meurtre (pour l'homme)!
La fin de livre laisse penser que nous avons à faire à un conte initiatique et que le vrai dénouement est ailleurs !
Amélie NOTHOMB, mine de rien, redéfinit classiquement l’amour en lien avec la mort, et surtout l’amour pudique, esthétique, en recherche perpétuelle, qui ne viole pas l’intimité de l’être aimé !
Ce qui est aux antipodes de tous les nudismes, étalages intempestifs et épluchures ratatinées dont on se gargarise aujourd’hui dans toutes les gazettes et publications sentimentales...
Comme si la nudité étalée était devenue gage de longévité, capture d'éternité…
L’exhibitionnisme est à plus forte raison la ruine de l’amour !
Oui, jetons un voile pudique sur nos sentiments, gardons cette « chambre noire » !
Voilà sans doute le meilleur gage de fidélité et d’altérité !
Mais au fait qu’y a-t-il dans cette « chambre noire » ?
SUSPENS !!!!
Allez lire « BARBE BLEUE » d’Amélie NOTHOMB !
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