Recension du film "Les nuits fauves" de Cyril COLLARD
- bohleremmanuel
- 27 nov. 2020
- 5 min de lecture
Diffusée sur les ondes de Radio Jérico. Direct pour la rubrique "Paroles d'Evangile" au sein la matinale de Thierry GEORGES.
Mars 2013.
Film sorti en salle le 12 octobre 1992
C’était un 5 mars 1993, à Paris....
Peu de temps avant que son dernier film « Les nuits fauves » (1992) ne soit 4 fois primés à Cannes...
Mourut du SIDA, l’écrivain, réalisateur et cinéaste français Cyril COLLARD, né le 19 décembre 1957...
Cyrille COLLARD était d’abord un écrivain dont les 4 romans l’ont complètement démarqué de sa génération à cause de son langage si cru et si dure sur la réalité d’une existence vouée à la mort.
Comment vivre face à cette échéance fatale et incontrôlée ?
Si je vous parle de lui, c’est parce qu’il a été « l’évènement » de l’adolescence que j’ai vécu dans ces années 1990. Un évènement de lycéen face à la question du SIDA et derrière la question des mœurs affectives et sexuels d’une Société.
Et pourtant ainsi passe la gloire du monde car qui connait encore aujourd’hui Cyril COLLARD ? Il est tombé dans l’oubli à tel point que l’on peine à trouver ses livres et le film « Les nuits fauves » qui révéla Romane BOHRINGER. Hélas, son œuvre ne semble faire vivre plus que les petits bouquinistes et brocanteurs.
Cyril COLLARD, à travers « Les nuits Fauves » réussit à cristaliser non seulement le problème, mais avant tout la souffrance d’une sexualité de "fauve", tour à tour bestiale et passionnée.
Ce film reprend les tragédies classiques de l’amour-passion conduisant à la folie.
D’ailleurs Romane BOHRINGER avait rendu visible le jeu sublime d’une "Phèdre des temps modernes".
Mais cette tragédie d'un amour passionné, dévorant, à la fois sublime, trivial et bestial, va fondre et confondre dans une même réalité orgasme et destruction, procréation et propagation, puissance de vie et puissance de mort, éjaculation et contamination.
L'auteur film un mystère, celui de la transmission qui dans ce cas précis repose en équilibre sur un fil de crête, très mince, dont le rythme peut nous faire basculer dans 2 directions opposées.
Soit c'est sublime, soit c'est abject !
La transmission est sublime puisqu'au début, la rencontre entre Cyril COLLARD et Romane BOHRINGER est puissante d'expressivité, d'amour et de désir. Ils sont comme de la lave en fusion où tous les éléments s'entremêlent et s'entre-choc avant une explosion, une éruption, un "big bang initial".
L'éruption a lieu dans cette scène d'amour, filmé de manière hésitante entre érotisme et pornographie...
Pourtant ils ont jouis ensemble avec une force à rendre jaloux. Romane cri dans une ascension vers un 7ème ciel de jouissance et de bonheur. Cyril accompagne son éjaculation d'un râle bestial et caverneux... Ils en avaient envie....
Mais cette extase apparente, cache en plus profond de la semence virile de l'homme, un mal encore mystérieux à cette époque...
Au lieu de recevoir au plus intime de son corps cette puissance d'engendrement pour "donner" et "mettre au monde", dans un acte d'arrachement violent, ce nouveau corps qui aurait pris corps du sien, la femme va mystérieusement devenir jalouse et possessive...
Là se joue un double paradoxe, ancré au for intérieur de 2 personnages....
Au lieu de recevoir et de donner, on va capter et garder jalousement...
Au lieu de transmettre une semence d'engendrement, s'y mêle une semence de destruction...
Au lieu de transmettre ce qui donnera une nouvelle vie, s'y mêle une force de mort.
Dans cet orgasme partagé, un fruit risque déjà de tout corrompre... Et suivant chacun des 2 personnages, le film va montrer cette oeuvre progressive de destruction...
L'origine de ce mal-être est un silence...
Celui de Cyril qui n'a pas eu le courage de dire à Romane le mal qu'il porte en lui... Est-ce par honte? Par culpabilité? Parce qu'il se recherchait lui-même?
La passion de cette sexualité à la fois sublime et sauvage, va se muer en destruction.
La première chose qui sera détruite, avant même les personnages, c'est la sexualité elle-même.
Elle sera perçue dans l’ombre, dans la saleté d’un parking glauque où viennent pour quelques instants des personnes anonymes dont on ne voit que les jambes et les râles, et qui dans la honte viennent chercher non plus un plaisir, mais un orgasme tellement illusoire qu’il se termine dans l’oubli complet. Puis viendra cette scène horrible où l’auteur met en scène des phantasmes destructeurs, trouvant sa jouissance couché dans la poussière et l’humiliation, et ayant son orgasme au moment ou d’autres pervers lui urinent dessus....
Quelle "déchéance"!
Pourquoi montrer les phantasmes homosexuels sur ce registre de la honte? Il fallait oser à cette époque filmer cela à l'écran...
Quelle violence sourde...
Quelle vision d'abjection !
Quelle "souffrance"....
Avec ce film on peut comprendre, non seulement que la sexualité n’est plus un tabou, mais que dans l’élan elle n’est même plus sacrée et peut devenir abjecte!
Avec cette scène effrayante sur certains aspects, le Temple d’Aphrodite a bien été profané, et il ne reste hélas qu’un champ de ruines….
Imaginez que ce sont ces images et ce film passé à la place des cours pour un si grand nombre de lycéens et de collégiens, que l’Education Nationale avait eu l'idée de nous apprendre à faire évoluer, "dans le bon sens et dans le progrès" disaient-ils, les questions de l’éducation des mœurs et du problème du SIDA.
En voulant nous rendre attentif sur la douloureuse question de la contamination dont l’intrigue du film est bâti, on nous a mis, à cet âge si beau parce que si sensible, face à un dilemne. Cela n’ôte rien au chef d’œuvre de ce film, mais pour des adolescents sans recul, je ne comprends toujours pas la motivation de l'époque d'avoir passer ce film dans les écoles.
Surtout je trouve personnellement étrange d'avoir détournée cette oeuvre du cinéma à des fins idéologiques, car jamais on ne nous a rendu attentif à toute la dramaturgie esthétique du film qui repose précisément sur la difficulté d'aimer, sur l'hésitation de la recherche de ses orientations sexuelles, sans pouvoir encore nommer explicitement ce que l'on désigne par "bisexuel".
Au fond, Cyril COLLARD semble se demander ce que c'est que d'aimer car il y a un authentique questionnement intérieur: comment vivre avec "maladie sexuellement transmissible"... Comment vivre avec cette idée que l'acte le plus sublime et le plus beau qui soit donné à 2 corps qui s'aiment puisse "transmettre" potentiellement une "puissance de mort"...
Ce film pose indirectement la question du "vivre avec" ce qui "pervertit" notre sexualité et notre rapport à l'autre...
Voilà des questions, brûlantes d'actualité, qui aujourd'hui encore peuvent hanter inconsciemment les esprits:
Pouvons-nous avoir foi en la beauté des corps et en la beauté de l’amour?
Pouvons-nous croire en la beauté et la grandeur de la sexualité ?
Pouvons-nous croire en la grandeur de l’acte conjugale ?
A nous de créer autre chose pour qu’après les nuits fauves, il y ait des lendemains qui chantent !
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