Lettre ouverte à Elisabeth, ou comment sais-tu ces choses redoutables?
- bohleremmanuel
- 21 nov. 2020
- 4 min de lecture
Voici un article publié pour le journal hebdomadaire « L’Ami Hebdo » au sein de l’édition du 21 décembre 2012. Commentaire de l'évangile du dimanche 23 décembre 2012 (Lc 1, 39-45).

C’est la question que nous pourrions te poser Elisabeth puisqu’à la fin de la scène évangélique tu dis : «…Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Oui Elisabeth, comment sais-tu tout cela, puisque Marie vient à peine de rentrer chez toi et que tu n’étais même pas présente lorsque l’ange Gabriel lui a dit ces Paroles de Promesses de la part de Dieu…
Tu accueilles chez toi, celle que tu confesses comme « bénie entre toutes les femmes », et dont « le fruit de ses entrailles est béni ». « Visitation » ou rencontre entre deux femmes et entre deux futures mères. Elisabeth, je vis une évolution où peut-être il sera assez mal interprété de parler de toi en te désignant « femme », et en racontant cette « Visitation » comme la rencontre de deux futures « mères ». Peux-tu imaginer cette Visitation de Marie, réécrite version « Le meilleur des mondes », où même la notion de parents peut passer au « numérique » ? Même Aldous Huxley n’y avait pas songé !
Et pourtant dans cette « Visitation », le plus divin se dit et se révèle dans le plus humain. Car pour confesser que Marie est la « mère de ton Seigneur », tu as d’abord regardée et reconnue sa toute frêle humanité, bénie et comblée. Pas facile pour moi Elisabeth, de regarder en face l’humanité qui m’entoure sans y voir les souffrances de toutes sortes, engendrées par un système qui hélas se déshumanise comme par fatalité, et plus grave encore, par politiques suicidaires. On dirait qu’il faut en finir avec elle, et retourner à l’état d’indifférenciation généralisée, ou ce repli sur soi nous pétrifiera à jamais ; et pour de futurs androïdes hallucinogènes, on apposera sur les statues que nous sommes déjà devenus, le titre « voici à quoi ressemblait un être humain ». Quelle zone ! Pourtant Elisabeth, nous n’avons jamais autant cru que tout va bien…Nous croyons être vivant… On ne s’est jamais autant divertis, allant jusqu’à s’en créer un monde parallèle. C’est dans ce refuge de l’illusoire divertissement que soit disant on est vrai et soi-même, alors que dans la vie concrète de tous les jours, on prétend qu’on ne peut que jouer un autre jeu que soi. Quel paradoxe, un vrai miroir… Nous croyons être dans une culture où le corps est au centre? Et s’il n’en est rien! Si tout ne semblerait que fantasmes et courants d’air? alors nous courions après un mirage, soit de l’éternelle jeunesse que nous n’avons plus, soit de ce que n’avons jamais pu devenir… Et de ce mirage, le désespoir s’enracinerait en nos coeurs…
Elisabeth, le psalmiste a-t-il raison lorsqu’il dit que le bonheur est illusoire et qu’il a déserté nos cœurs ? Là où tout ne devient qu’illusion comment croire ? L’humain, et l’altérité dans toutes ses composantes, seraient-ils encore réels ? Aidez-moi à faire une brèche à ce miroir et à le traverser…
Alors merci Elisabeth, car ton exemple d’humanité est cette heureuse brèche tant espérée. Toi la stérile, dont cette tare faisait ta honte, tu as su voir au-delà de l’humanité de Marie, le mystère divin qu’elle porte en elle. Tu rends-tu compte que si tu confesses qu’elle est bénie ainsi que le fruit de ses entrailles, c’est parce que toi-même, tu as su te mettre à l’écoute du fruit de tes propres entrailles ! Tu as écouté l’humanité de ton fils Jean qui dans sa joie, ouvre ton cœur au surgissement de l’Esprit Saint ! Et là comme un enivrement, une extase, tu comprends. Tu y cries et ta joie, et ta foi ! L’écoute intérieure du fruit de tes entrailles, t’ouvre au Don de Dieu, à son Fruit qui germe caché dans le silence de Marie, son humble servante.
Elisabeth, apprends-moi à l’aimer davantage cette humanité, car c’est en l’écoutant que mon cœur pourra s’ouvrir au don de l’Esprit, et qu’alors je pourrai y trouver et y confesser la Présence de Celui qui « vient parmi nous ». C’est toi, qui par l’exemple de cette « Visitation », me redit que la meilleure préparation au mystère de la Nativité, c’est l’écoute aimante de notre humanité. Quelle révélation et quel honneur de redécouvrir la nouveauté de l’Evangile : Notre Seigneur a choisi cette humanité d’aujourd’hui comme ostensoir de sa Présence. Voilà la joie de Noël !
Alors comme toi, Elisabeth, j’ose crier afin qu’on puisse la respecter cette humanité, et ne plus la détruire inexorablement en la réduisant à des commerces si peu équitables ! Et j’ose le crier à tous ces serpents d’aujourd’hui, qui savent comment s’y prendre pour endormir les consciences, et nous faire croire que tout sent si bon la rose, alors qu’il s’agit plutôt de l’odeur d’une fosse ! Si Jésus a su ouvrir les yeux et les oreilles, pourquoi n’ouvrirait-il pas aussi notre nez ?
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