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Une parabole peut-elle nous sembler anti-évangélique ?


Commentaire d’évangile (Mt 25, 14-15.19-21) pour le 33ème Dimanche du Temps Ordinaire (année liturgique A), célébrée cette année le dimanche 15 novembre 2020.

Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO, au sein de l'édition du 13 novembre 2020.





La parabole des talents lue ce dimanche fait froid dans le dos et ne nous prépare pas des lendemains qui chantent. Quel en est l’enjeu ?

Comment acclamer la Parole de Dieu en louant le Seigneur Jésus face au Maître dont l’intransigeance ne laisse place à aucune sensibilité ni empathie ?

Son objectif serait le savoir-faire et la rentabilité : plus tu réussis plus tu auras en retour. Malheur aux échecs et aux ratés !

Où est son savoir-être, tant il semble à l’opposé des Béatitudes ?


Penser cela est signe que nous nous plaçons du côté du serviteur opprimé. Nous posons un avis sur le maître à partir de ce qui en est dit par le serviteur et confirmé par lui-même : dureté, récolter sans moissonner, ramasser sans répandre.

Mais est-ce juste ? Et si la vérité se situait du côté de l’oppresseur ?


Pour saisir le dénouement, il faut être très attentif au début.

Le maître part en voyage et confie son bien à chacun « selon ses capacités ». Cela témoigne d’une bienveillance envers ses serviteurs et non d’un esprit machiavélique. Il les connait et s’adapte à chacun[1].

On ne peut savoir s’ils avaient l’obligation de faire fructifier, par contre nous savons que le voyage dure longtemps. C’est un signe de confiance du maître, ce qui remet en cause sa prétendue dureté.


Puis vient la réaction des serviteurs.

Deux vont faire fructifier le bien à égalité de ce qu’ils ont reçu. Cette égalité symbolique semble être l’image de la capacité de chacun, comme si ce dépôt n’était qu’un prétexte pour y mettre l’accent. La manière de faire fructifier le bien n’est donc pas ici synonyme de rentabilité ni de productivité.

Un seul serviteur l’enterre… Pourquoi ne pas avoir mis en acte tout ce qui a été déposé en puissance entre ses mains ? Mettons-nous toujours à profit nos capacités ou bien les enterrons-nous avec les missions que l’on nous confie ?


Le retour du maître vient mettre en lumière les secrets des cœurs.

Il y avait bien une démarche initiatique de sa part puisque ceux qui ont fait fructifier les biens à hauteur de leurs capacités vont recevoir le titre de fidèle et une mission plus grande. Quant au dernier, il avait peur[2] à cause d’une fausse image[3] de son Maître, comme si la morsure de son ignorance le rendait aveugle et paralysé.

Par l’absurde, le maître lui montre ses contradictions[4] puisqu’il n’a pas réagit selon son propre raisonnement face au dépôt.

Cela remet indirectement en cause l’image de celui qui récolte sans moissonner et ramasse sans répandre.


Le serviteur nous présente-t-il le Maître « en vérité » ou selon son «ressenti»[5]?

Au fond que savons-nous réellement du Maître[6] ?

Selon le serviteur il y avait de quoi être scandalisé, pourtant rien ne semble précis comme s’il nous détournait de la vérité alors qu’en fait il est bienveillant.


En sommes, le serviteur-mauvais[7] ne serait-il pas comparable à ces « faux prophètes[8] » dont parle l’évangéliste (Mt 7,15) qui, habillés comme des agneaux, cachent un loup qui corrompt les fidèles du visage de Dieu, Père des Miséricordes ? N’y a-t-il pas de nos jours de mauvais serviteurs qui empêchent de connaître Dieu en vérité, tant ils enseignent des images erronées ?


Lorsque l’ignorance nous paralyse ou alors nous fait accomplir des gestes fanatiques, voilà une libération[9] à demander expressément à notre Père qui est aux Cieux !



NB: Les notes en bas de pages n'ont pas été publiées au sein de L'AMI HEBDO. Elles figurent ici à titre de complément pour le lecteur.

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[1] Le Maître semble être présenté comme la figure du Bon Pasteur qui connait ses brebis.

[2] Il serait nécessaire, s’il on veut davantage approfondir ce texte, de se demander d’où provient cette peur. Quelle en serait l’origine ? Est-elle liée au serviteur lui-même, ou bien, à travers la peur de son Maître, il a peur de quelque chose d’autre ? Ou bien de quelqu’un d’autre ?

[3] Il serait également nécessaire de nous poser la question quant à l’origine de cette fausse image du Maître. Est-elle uniquement le fruit de son analyse et de son ressenti personnelle ou bien est-elle liée à une erreur qu’on lui aurait communiquée concernant son Maître. Le serviteur ne serait-il pas « prisonnier » d’une fausse image qu’un tiers lui aurait fabriqué, un peu comme lorsque l’on se forge une idée sur quelqu’un sans le rencontrer vraiment et en se basant de ce que les autres en pensent.

[4] Cette contradiction mise en lumière par le Maître face à ce paradoxe entre le raisonnement intérieur et les actes de son serviteur montre que ce dernier est « divisé« . Qu’est-ce qui serait à l’origine de cette « division« . N’est-ce pas un argument en faveur de circonstances atténuantes pour le serviteur comme s’il avait été manipulé par un tiers. Et si cette parabole avait pour objectif de mettre en lumière la subtilité et l’action d’un « tentateur » ?

[5] Cette question est primordiale pour tenter de mesurer le degré de responsabilité du serviteur dans cette présentation erronée du Maître qui entre en contradiction avec les informations contenues au début de la parabole. N’y-a-t-il pas quelqu’un d’autre qui se cache derrière tout cela et qui aurait manipulé ce serviteur ? La piste du « tentateur » devient de plus en plus manifeste !

[6] En reprenant les explications d’autres paraboles, le Maître est l’image de Dieu. Par conséquent, cette parabole laisse le mystère quant à l’identité même de Dieu. La seule chose que l’on sait de lui, c’est qu’il connait sa créature et qu’il agit en fonction d’elle par bienveillance.

[7] Ce titre de « serviteur mauvais » pourrait devancer la dénomination utilisée au sein de la parabole du Jugement Dernier (Mt 25, 31-46) ? En effet, dans cette dernière l’évangéliste présente les « mauvais serviteur » comme ceux qui auraient été charitable uniquement par intérêt et non par pure gratuité.

[8] L’Evangile selon saint Mathieu est sans doute celui qui met en récit, avec le plus de subtilité et de pertinence, la figure du « faux prophète« . Nous le retrouvons dans les récits de l’enfance à travers la figure d’Hérode qui manipula l’interprétation des Ecritures pour lui-même manipuler les Mages afin de mettre à mort le Messie. Il y a en outre la figure des pharisiens et le Grand-Prêtre dont les récits mettent en lumière leurs tentatives. On le retrouve bien évidement à travers la figure du diable dans le récit des tentations. Ce dernier va manipuler l’Ecriture pour corrompre Jésus, allant jusqu’à vouloir ouvertement le détourner de Dieu par un acte d’apostasie. Le travestissement de la Vérité est plus que jamais une des subtilités narratives de l’Evangile selon saint Mathieu. Mais surtout l’Evangile selon Mathieu nous montre que les « faux prophètes » sont surtout des prisonniers du mensonge du Tentateur. Ils ne sont en aucune manière prisonnier de leur mensonge, mais du mensonge d’un Autre. Manipulé par le Tentateur qui les rend aveugle et paralysé : aveugle sur la vrai à cause du mensonge, paralysé dans leur liberté à cause du mensonge. Le serviteur de cette parabole semble être l’image de ce « faux prophète » prisonnier du mensonge du Tentateur, un peu comme jadis Adam et Eve face au mensonge du serpent. La morsure antique, ou le péché originel pourrait représenter cet état de dépendance, cet état de prisonnier du mensonge. Cela détourne du visage de Dieu.

[9] Dans la logique de cette parabole, demander la libération c’est demander d’être libéré du mensonge du Tentateur. C’est revenir dans la lumière pour être illuminé par son Visage de Père des Miséricordes. C’est être libéré pour se préparer à recevoir une Grâce plus grande encore!

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