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Petit éloge pour une sobriété heureuse

Dernière mise à jour : 5 mars 2021


Commentaire d’évangile (Mc 1, 29-39) pour le 5ème Dimanche du Temps Ordinaire (année liturgique B), célébrée le dimanche 7 février 2021.

Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO, au sein de l'édition du 05 février 2021.



« Vanité » (?)



Lorsque l'exercice de style s'accompagne d'une réévaluation des modes d'existence, l'évangile selon saint Marc serait un exemple de sobriété qui rendrait heureux ?



Le genre littéraire de l'évangile[1] selon Marc résonne particulièrement en ces temps de dérèglements, d'instabilité et de remise en cause d'un mouvement universel de consumérisme hissé au rang de culture et de boussole pour une certaine compréhension de l'économie.

Bien qu'étant le premier texte d'un genre nouveau[2] (un évangile) probablement daté entre 65 et 70, il n'y a pas encore si longtemps les spécialistes le regardaient avec un certain dédain[3]

Pourquoi ? En mêlant évènements historiques précis et acte de foi, il se détache du genre littéraire des biographies où il semble prendre racine[4]. Face aux chefs d'œuvres littéraires de cette période de l'Antiquité, cet évangile fait pâle figure.

Rédigé en grec, la structure de ses phrases semble davantage correspondre à la déclamation orale dans un cadre liturgique qu'à de la littérature… Mais nous sommes loin des anthologies d'éloquence de l'Antiquité.

Et pourtant, les dernières recherches exégétiques[5] nous présente ce mystère avec un nouveau regard où ces imperfections stylistiques sont une apparence, un voile qu'il faut traverser !


L'évangile de ce dimanche est un bel exemple : une accumulation de détails à peine esquissés (sortie de la synagogue, guérison de la belle-mère de Pierre et des autres malades), d'enchainements hasardeux (guérisons le soir chez Pierre puis fuite sur la montagne à l'aurore d'où l'on partira vers d'autres villages) laisse le lecteur sur un sentiment d'inachevé et de paradoxe.

Inachevé comme si on avait à peine développé des idées prises en note à la hâte.

Paradoxe ? Contrairement à tous les personnages qui ne savent et ne voient rien (ce qui est le cas pour notre extrait), le lecteur sait tout dès les premières lignes concernant Jésus de Nazareth. Tout est dévoilé de ses titres et de l'intrigue mais est-ce pour autant que quelque chose y soit expliqué ? Un mystère est dévoilé mais tout demeure mystérieux !

Le lecteur est nourri des informations qu'il reçoit, mais il reste sur sa faim. Or n'est-ce pas une définition possible de la sobriété ? Cette sobriété du rédacteur va mettre en mouvement : soit un abandon soit un approfondissement pour chercher ailleurs. La sobriété de l'Ecriture permettra d'avoir faim de Celui qui pour nous s'est fait vraie nourriture : le Verbe fait chair, la Parole de Dieu.

Pendant longtemps on jeta un discrédit sur l'évangile selon Marc en tant qu'oeuvre littéraire. Avec un mépris inavoué bien des philologues imputaient la faiblesse stylistique au niveau culturel des premières communautés… Pourtant face aux avancés très positives des recherches sur cet évangile[6], il est légitime de se demander si ce ne serait pas plutôt le fruit d'une démarche profonde et intérieure de la part du rédacteur Et si en écrivant il s'était volontairement dépouillé de lui-même pour permettre au lecteur de laisser grandir un autre ? Sa sobriété serait alors comprise comme une démarche d'altérité.


Ainsi la sobriété de l'évangéliste nous permettra d'être heureux parce qu'elle ne sera qu'un encas pour tenir dans l'attente d'un festin plus grand où Dieu lui-même se fera nourriture.


------------------------------------- [1] R. Hurley, « Le genre « évangile » en fonction des effets produits par la mise en intrigue de Jésus », In : Laval théologique et philosophique, 58 (2), 2002, p. 243–257. [2] B. Standaert, L'Évangile selon Marc. Composition et genre littéraire, Bruges-Zevenkerken, 1978, 679 p. [3] B. Standaert, L'Évangile selon Marc. Commentaire, Coll. Lire la Bible 61, Paris, Cerf, 1983. 144 p. [4] KTO : Emission "La foi prise au mot" consacrée à l'évangile selon saint Marc, diffusée le 23 novembre 2014. [5] R.Meynet, "La composition de l'évangile de Marc", In : Gregorianum 96/2, Pontificia Universitas Gregoriana, Roma 2015, p.231-251. [6]Ibid. Le résumé de l'article dit ceci : « On a longtemps pensé que les livres bibliques, étant le produit de traditions orales rassemblées par un rédacteur peu soucieux d’ordre, n’étaient qu’une sorte de patchwork. Désormais on constate de plus en plus que ces textes sont fort bien composés, à condition de les mesurer à l’aune de la tradition littéraire à laquelle ils appartiennent, la rhétorique sémitique. »

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