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Lorsque l’arithmomane rencontre la démesure…

Commentaire d’évangile pour le 25ème dimanche du Temps Ordinaire (Lc 16, 1-13 ; année liturgique C), célébré le dimanche 18 septembre 2022.


Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO au sein de l'édition du 16 septembre 2022.





L’arithmomanie se caractérise par une obsession à manipuler des chiffres et à compter. Ce syndrome ne se manifesterait-il pas dans l’évangile ?


A côté de l’extravagante comptabilité de ce gérant, il y a cachés et discrets, des éléments qui font écho à la parabole du Fils prodigue (Lc 15, 1-32) entendu dimanche dernier. Le Maître ressemble au Père car ayant une immense fortune. Le gérant ressemble au fils prodigue puisqu’il reçoit une fortune qu’il va dilapider. Enfin, comme le frère aîné qui portait des jugements durs envers son frère, il y a ceux qui sont venus rapporter au Maître les agissements mauvais du gérant.


Mais pourquoi le Maître, tout en lui ôtant la gérance, fait-il l’éloge de son gérant ? Pourquoi faire l’éloge de sa corruption ? Pour cela scrutons le texte pour retrouver indices et nous en tenir aux faits.


Tout commence pour une délation : on avertit le Maître que son gérant dilapide sa fortune. Il est donc normal de demander des comptes et de lui ôter la gérance. Or la fortune a-t-elle été dépensée, gaspillée ? Même si le gérant se révèle peu enclin au travail, le texte nous révèle la présence de reconnaissances de dettes ! N’en déplaise aux délateurs, la fortune n’est pas dilapidée mais prêtée ! Et le gérant, prenant la place du Maître, s’est transformé en prêteur ! Jean Chrysostome[1] interprète l’attitude du gérant comme la manifestation d’une tentation de chacun à se croire Maître absolu de tout : orgueil que d’annexer et se croire propriétaire des biens que l’on nous confie.

Cependant, nous ne connaissons pas les motivations des débiteurs pour avoir contracté ces dettes… Etait-ce par besoin d’aide ? Quant au gérant devenu créancier, pourquoi a-t-il accordé faveur envers ceux qui ne pouvaient payer ? Ne pas être pressé pour recevoir le paiement des dettes, allant jusqu’à les remettre à ceux qui sont débiteurs, peut à la fois être négligence mais aussi bienveillance, largesse envers eux. Or le Maître fait l’éloge de son habileté. Bède le Vénérable[2] interprète les remises de dettes comme un geste d’amour, de Miséricorde de la part de ce gérant envers les débiteurs. Il les libère de leur misère !

Finalement, il y a du bon grain et de l’ivraie en ce gérant. Bon grain à l’extérieur par la générosité des remises de dette. En même temps ivraie à l’intérieur en annexant les biens de son Maître et corrompant l’intention pour s’acheter une nouvelle situation confortable.


Après cette parabole, Jésus nous donne une clef : la fortune confiée par le Maître est l’image du Bien véritable, c’est-à-dire la Grâce. Ainsi le Maître est Dieu et le gérant pourrait être l’image de l’Eglise à qui il a confié le mystère de sa Grâce à travers les sacrements : gages de l’Amour Miséricordieux qui seul remet les dettes de nos péchés et que nous invoquons par le Notre Père.


Comme un bon grain, si l’Eglise est sacrement du Salut[3], elle porte aussi en elle cette ivraie, cette tentation intérieure de se croire propriétaire de la Grâce. Mais aussi de corruption où pour assurer le confort de sa tranquillité et préserver son rang social, elle serait prête à des compromissions.

Comme y invite Jean Chrysostome[4], rejetons cette âme d’orgueil de se croire propriétaire et Maître de l’univers pour revêtir l’humilité des dispensateurs.


N’est-ce pas la fidélité envers les engagements de notre Baptême ?



------------------------------------------------ [1] Thomas d’Aquin, Glossa continua super Evangelia, Catena aurea in Lucam, chapitre XVI, versets 1-7, Trad. J-M Peronne, Paris, Louis Vivès, 1868 : Les hommes sont dominés par une fausse opinion qui ne sert qu'à augmenter leurs fautes et à diminuer leurs mérites; elle consiste à croire que tous les biens que nous possédons pour l'usage de la vie, nous les possédons comme maîtres absolus, et de les rechercher en conséquence comme les biens les plus importants. Or, c'est le contraire qui est vrai ; car nous n'avons pas été placés dans cette vie comme des maîtres dans la maison qui leur appartient en propre, mais semblables à des hôtes et à des étrangers, nous sommes conduits là où nous ne voulons pas aller, et dans le temps ou nous y pensons le moins. Qui que vous soyez, rappelez-vous donc que vous n'êtes que le dispensateur de biens qui ne vous appartiennent pas, et que vous n'avez sur eux que les droits d'un usage transitoire et passager. [2] Thomas d’Aquin, Glossa continua super Evangelia, Catena aurea in Lucam, chapitre XVI, versets 1-7, Trad. J-M Peronne, Paris, Louis Vivès, 1868 : Or, voici comment on peut entendre ce passage. Celui qui soulage la misère du pauvre pour moitié ou pour la cinquième partie sera récompensé pour sa miséricorde. [3] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n°01, 21 novembre 1964 : L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière, pour ses fidèles et pour le monde entier, en se rattachant à l’enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission universelle. [4] Thomas d’Aquin, Glossa continua super Evangelia, Catena aurea in Lucam, chapitre XVI, versets 1-7, Trad. J-M Peronne, Paris, Louis Vivès, 1868 : Rejetez donc de votre âme l’orgueil qu’inspire la pensée qu’on est maître absolu pour prendre les sentiments de réserve et d’humilité qui conviennent.

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