Pour que ton pied ne heurte pas les pierres...
- bohleremmanuel
- 5 janv. 2024
- 4 min de lecture
Commentaire d’évangile pour le dimanche de l'Epiphanie (Mt 2,1-12 ; année liturgique B), célébré le dimanche 07 janvier 2024.
Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO au sein de l'édition du 05 janvier 2024.

Illustration : « Hérode et les Mages », James TISSOT (1836-1902)
Si l’Epiphanie est une fête de la lumière qui brille dans les ténèbres, elle sert surtout à éviter que les Mages tombent dans les pièges qui auraient pu mettre en péril la vie de l’Enfant. Retour sur une échappée belle !
Alors qu’Isaïe (Is 60,1-6) nous parle d’une manière positive de la lumière, du Seigneur qui se lève, de sa Gloire qui apparait sur Jérusalem alors que ténèbres et nuées couvrent terres et gens ; au sein de l’évangile la dynamique semble à la fois doublée et inversée.
Doublée parce que la lumière se lève deux fois : une première fois pour annoncer la naissance, une deuxième fois pour trouver, à Bethléem, le lieu de la naissance.
Inversée parce que la lumière se lève d’abord pour les Mages comme pour commencer un premier jour. Puis une fois arrivés à Jérusalem, les ténèbres vont alors commencer à couvrir la ville et les nuées le cœur d’Hérode. Mais la lumière se lève à nouveau dans ces ténèbres comme pour commencer un jour nouveau, et ces ténèbres ne l’ont pas arrêtée (Jn 1,5).
L’attitude des Mages a de quoi jeter un profond malaise et cela pour trois raisons :
Tout d’abord l’évangile nomme le personnage principal, pourtant absent de la scène « nouveau Roi » et non « Prince » comme cela devrait être le cas puisqu’il y a toujours un roi qui gouverne à Jérusalem en la personne d’Hérode. Est-ce à dire que les Mages ne reconnaissent déjà plus l’autorité et la légitimité d’Hérode, en fait Hérode Archélaos, fils d’Hérode-le-Grand, qui régna sur la Judée entre -4 et 6 après Jésus-Christ ?
Ensuite les Mages cherchent où est né ce « nouveau Roi ». Il aurait dû naître au Palais de Jérusalem comme un roi, or il n’en est rien ! Le lieu de sa naissance demeure encore caché. Ainsi les Mages le cherchant ailleurs qu’au Palais semblent accentuer le fait qu’ils ne reconnaissent plus ce lieu comme légitime. Si ce nouveau Roi n’est ni à Jérusalem, ni dans un Palais, est-ce dire qu’il doit venir d’ailleurs pour entrer à Jérusalem, comme jadis l’annonçait Zacharie : « Voici, ton roi vient à toi; Il est juste et victorieux, Il est humble et monté sur un âne, Sur un âne, le petit d'une ânesse » (Za 9,9) Est-ce aussi pour annoncer que la Royauté de ce Roi qui vient de naître n’est pas de ce monde (Jn 18,36) ?
Enfin, en voulant se prosterner devant ce « nouveau Roi », les Mages veulent manifester une révérence envers le Roi légitime. Indirectement, ils ne se prosternent pas devant Hérode ce qui confirme qu’il n’est pas un vrai roi ! Hérode serait-il illégitime comme jadis le fut Jéroboam lorsqu’il réalisa un schisme à la fois politique et religieux divisant le Royaume de David et de Salomon en fondant le Royaume d’Israël au nord se séparant du Royaume de Juda au sud ? Cependant Jéroboam reçut la visite d’un sage de Juda (1R13) monté sur un âne lui annonçant sa faute et qu’un fils naîtra dans la maison de David pour détruire le culte des idoles qu’il avait instauré pour empêcher de se rendre au Temple de Jérusalem. Ce sage refusa les présents de Jéroboam et reparti par un autre chemin. Même le prophète Ahias de Silo dénonça à Jéroboam sa trahison face au don de la royauté de la part de Dieu, le rendant indigne (1 R 14).
Ainsi très irrévérencieux, les premiers versets de cet évangile de l’Epiphanie justifient le fait qu’Hérode et tout Jérusalem furent « bouleversés » par ces inconnus.
Le personnage principal n’est pas encore en scène mais tout le monde se met en quête de lui et le chemin emprunté est un chemin de ténèbres, semé d’embuches et de pierres cachant vipères près à vous mordre le talon !
Certes on trouve la trace de ce « nouveau Roi » grâce à l’Ecriture et Hérode ne lésine pas à la dépense puisque tous les grands-prêtres et les scribes concourent à la tâche. C’est tout le clergé unanime qui scrute les Ecritures !
Fourbe et machiavélique, Hérode est un anti-prophète puisque tout en donnant aux Mages une indication vers Bethléem grâce à la prophétie de Michée (Mi 5,2), il cache son désir profond de le tuer en tentant de manipuler les Mages par un faux désir de révérence !
Cependant, Hérode se trahie par ce faux désir car pourquoi se prosterner devant le « nouveau Roi » puisque lui est toujours roi ! Ce non-sens du texte trahit le fait qu’il n’est pas roi ! C’est pourquoi ce pamphlet confirme ce que dit l’historien Flavius Josèphe pour qui Hérode Archélaos réuni en lui les vices les plus insupportables de tous les tyrans ! D’ailleurs cette tyrannie fera qu’il sera déposé et exilé par l’Empereur Auguste et que ce dernier nommera un gouverneur romain sur la Judée.
Parfait Tartuffe et faux-dévot, Hérode joue un autre rôle dans l’évangile : celui du Tentateur comme jadis à la Genèse ! En effet la lumière de la claire-vision et du discernement brille au cœur de ce chemin de compromission et de tromperie meurtrière !
Là voilà la Bonne-Nouvelle : dans le secret d’un lieu de Bethléem qui reste anonyme et dans le silence, ils se prosternent et apportent tous les attributs qui préfigurent déjà la Passion et la Résurrection.
Accomplissant la Promesse du Psaume 90 (11-13) « Il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le Dragon », la grâce de l’Epiphanie c’est de repartir par un autre chemin lorsque la lumière du discernement nous permet de voir à l’avance les pièges du Tentateur!
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