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Sens dessus-dessous...

Dernière mise à jour : 5 mars 2024

Commentaire d’évangile pour le 3ème dimanche de Carême  (Jn 2, 13-25) ; année liturgique B), célébré le dimanche 03 mars 2024.


Commentaire publié dans le journal hebdomadaire L'AMI HEBDO au sein de l'édition du 01er mars 2024.





L’effet de cet évangile sur notre imaginaire est sans doute de susciter désordre et de mettre nos sens à l’envers ! Où aller ? Alors plutôt que de rester au sol, laissons-nous remettre debout !

 

 

Célèbre page d’évangile qui suscite bien des commentaires, tant elle présente Jésus dans une dimension herculéenne, ou pour faire plus biblique « Samsonéenne » (Jg 16,23-30) ! Elle y exalte la force physique pour lutter contre l’injustice, la musculature athlétique contre le trafique, la volonté de vaincre contre la corruption : c’est bien à « main forte et à bras vigoureux » qu’il nettoie le Temple. Bref un Jésus olympique qui pourrait faire les choux gras de quelques rédacteurs (ou prédicateurs) en mal d’inspiration en ces temps de préparation aux J.O. de Paris.

 

Mais cette page d’évangile nous conduit-elle vers l’exaltation de la force ? Et si c’était une illusion, ou peut-être un signe qu’il conviendrait d’interpréter avec plus de finesse et de nuances ? Avons-nous tenu compte de l’ensemble des indices cachés dans ce texte ?

Déjà on peut être troublé par la finale où l’on apprend, qu’après la mort et la résurrection de Jésus, les disciples se sont souvenus de l’ensemble des détails de cette scène et qu’ils ont cru. La Passion et la Résurrection ne sont pas encore racontés que déjà on nous indique l’incontournable mystère pour comprendre cette scène troublante. Après la résurrection, en faisant mémoire, ils se sont souvenus de l’Ecriture et de la parole de Jésus. Mais quelle Ecriture ? Quelle parole ?   

L’Ecriture est : « l’amour de ta maison causera mon tourment ». La parole est : « détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai ».

 

Concernant l’Ecriture, il s’agit du Psaume 69 (68) verset 10. Il est l’antithèse absolu du fort herculéen puisqu’il décrit, avec des expressions semblables au livre d’Isaïe, les chants du Serviteur souffrant (Is 42,1-9 ; Is 49,1-7 ; Is 50,3-11 ; Is,52,13 – 53,12). Dans le contexte du psaume, le tourment n’est pas lié à l’excès de force pour lutter et chasser, mais davantage aux insultes envers Dieu que l’on reçoit. Il y a bien un décalage entre le signe au présent (chasser les marchands du Temple) et son interprétation à venir (le martyr de l’innocent qui, par ses souffrances et sa mort, va en sauver d’autres). Dans ce psaume on y apprend que cet innocent sera abreuvé de vinaigre (Ps 69,22), qu’il sera humilié, meurtri mais qu’il adressera un cri de foi envers Dieu pour que son Salut le relève (Ps 69,30). Véritable cantique de louange, ce cri de foi aura plus de valeur que les sacrifices d’animaux (Ps 63,31-32). Les disciples ont alors compris que Jésus accomplit ce psaume ! S’il chasse les animaux servant aux sacrifices c’est parce qu’il sera lui-même la victime offerte pour la Pâques et le Grand-Prêtre qui offre (He 7,23 – 8,10).

Concernant la double attitude de Jésus : en renversant les tables il se situe dans la ligné du prophète Néhémie qui renversa le mobilier de Tobia dans le Temple (Ne 13). En chassant les marchands, il se situe dans la lignée du prophète Zacharie lors de la fête des Tentes (Soukkot où l’on fait mémoire de l’assistance de Dieu pendant l’Exode à travers la Tente du rendez-vous, mais aussi de l’action de grâce et l’offrande des récoltes). Zacharie annonça qu’au Jour du Seigneur il n’y aurait plus de marchands dans le Temple (Za 14,21). En chassant les marchands du Temple, Jésus accomplit cette prophétie et se présente comme le Messie, signe à la fois de la Présence de Dieu envers son peuple (Il est la vraie Tente du rendez-vous), mais aussi d’offrande à son Père.

Concernant la parole de Jésus, elle se situe dans la lignée des invectives du prophète Jérémie annonçant la destruction du Temple (Jr 7,14-15), mais aussi de Samson qui jadis le détruisit. Mais la destruction entraîna sa mort et celle des ennemis Philistins. Jésus ne fera-t-il pas de même ? Dans sa mort, ne va-t-il pas entraîner avec lui tous ses ennemis, en particulier la mort et le péché (1 Co 15,26) ? Mais sa parole non seulement accomplit l’Ecriture mais va aller plus loin car on y annonce son relèvement et l’avènement d’un Temple nouveau : il ressuscitera d’entre les morts, entraînant avec lui ceux que la mort retenait captifs ! Il sera bien le Temple nouveau.

Ainsi, avec cette interprétation implicite du Psaume 69 nous pouvons comprendre que Jésus se présente, selon cette expression pascale, comme l’autel, le prêtre et la victime ! Mystère perpétué par l’Eglise, à travers le sacrifice eucharistique…



En sommes, cette page d’évangile permet de vivre une Pâque entre l’ancien et le nouveau culte où le sacrifice de l’Agneau pascal prendra un sens nouveau ! Serons-nous prêts à le reconnaître comme la source du salut qui vient purifier notre vie intérieure et notre conscience où se jouent parfois de bien scandaleux trafics ? Serons-nous prêts, comme jadis Jean-Baptiste, à la reconnaitre et à le suivre après avoir proclamé « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1,36) ?



Postlude ajouté....


Comme quoi, derrière l'apparence herculéenne ou samsonéenne du récit, se prépare déjà une tout autre réalité : celle de l'abaissement du Fils. Derrière le mirage illusoire de la force exaltée, se prépare une tout autre réalité : celle de la faiblesse d'un corps décharné. Derrière le cri, zélé et véhément de l'action anti-corruption, va se préparer une tout autre réalité : le silence et la fragilité d'un corps défiguré.

Et si ce récit était comparable à un "astre mort", c'est à dire à ces étoiles que l'on voit encore briller dans le ciel alors qu'elles sont déjà éteintes ? En lisant cette page, nous voyons peut-être encore briller dans notre imaginaire ainsi flatté, la force exacerbée, l'ardeur des révolutionnaires en quête de pureté: en bref l'humaine volonté. Et si tout cela était de l'ancien, comme déjà "mort", "éteint", nous invitant à chercher ailleurs la nouveauté ?

La nouveauté sera dans sa mort, car seule sa mort récapitule nos faiblesses humaines et notre fragilité ! Et de sa mort seule jaillira la vie !

Alors sommes-nous prêts à renoncer à notre force et notre volonté, pour le suivre jusqu'au bout, sur ce chemin de l'humilité ?

En tous cas, il nous précède et nous y attend !

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