Recension du film "Un crime d'amour" d'Alain CORNEAU
- bohleremmanuel
- 24 nov. 2020
- 5 min de lecture
Diffusée sur les ondes de Radio Jérico. Direct pour la rubrique "Paroles d'Evangile" au sein la matinale de Thierry GEORGES,
Septembre 2010.

Film sortie dans les salles le 18 août 2010
Je voudrais revenir sur un film qui est sortie le 18 août dernier.... « Un crime d'amour » d'Alain CORNEAU...
Il s'agit d'un crime... L'histoire se passe au sein d'une entreprise, entre une présidente et une de ses plus proches collaboratrices. Au départ, de la fascination réciproque, et puis de cette fascination va naître de la jalousie, de la haine, allant jusqu'au crime prémédité. Filmé dans un décor d'une austérité impressionnante, nimbé de brun et de gris... Sombre... Rendant cela quasi atemporel. Des personnages tellement travaillés qu'ils semblent irréels, voir allégorique... Et pourtant crime il y a, un peu avant la moitié du film.... On connaît l'assassin, la collaboratrice, et l'on connaît la victime (la présidente de la firme).
En relisant les critiques j'ai été surpris par le coté négatif qui en ressort... Je reconnais quelques lenteurs et curiosités du tournage... C'est vrai, on aime guère l'austérité des décors, des flash back, du fait que l'on connaisse si tôt l'auteur du crime, et que l'on passe la moitié du film à regarder ce que l'on sait déjà, et que soit disant on anticipe... C'est regarder ce film, en se mettant dans la peau de la police, du détective... Un peu comme si on regarderait Sherlock HOLMES ou Hercule POIROT en train d'élucider un mystère... A mon avis, ce n'est pas l'unique angle d'approche du film... Et je crois que tout le monde, sans s'en rendre compte forcément, a regardé ce film par « déformation visuelle » des polars, et résultat, on n'en a pas trop saisit son originalité. Moi, je pense que pour le comprendre, il convient de le regarder sous l'angle de l'assassin. Le téléspectateur est l'assassin ! Il se met dans la peau de cette collaboratrice prédatrice, à limite inhumaine. Un peu comme dans le livre d'Amélie NOTHOND : « L'hygiène de l'assassin », où le lecteur se rend compte et vie la construction d'un crime.
Ce film est comme une « mise à nue », un mode d'emploi du crime prémédité. Et toute la seconde moitié du film nous montre comment l'assassin a cheminé dans sa tête pour élaborer ce crime parfait. La problématique n'est pas sur l'assassin en tant que tel, ni même sur le mobile, mais sur le processus machiavélique de rendre véritable le mensonge. La deuxième partie nous montre donc, comme une démonstration d'autojustification, comment un coupable s'innocente, en faisant du mensonge une vérité objective ! C'est horrible et effrayant, tant cette psychose du crime parfait qui meut intérieurement l'assassin, donne froid dans le dos. Imaginée... La collaboratrice, va laisser quelques preuves tangibles, objectives, pour se faire accuser. Puis, tout au long de l'enquête, va se révéler son processus pour découvrir comment elle a laissé les preuves objectives qui va, petit à petit l'innocenter.
Après le film, on peut se demander : OU EST LA VERITE ? Mais on est bien loin du « qu'est-ce que la vérité » de Pilate. Où est la vérité quand le mensonge est élevé au rang de vérité ? Quand la justice, se voulant objective, se laisse mettre à bas par ses propres armes... Où est la vérité même de l'assassin dont on les éléments font qu'elle est elle-même insaisissable. Et cette question demeure jusqu'au bout, puisque le film termine sur une interrogation... On sort de là, en se demandant : où est la Vérité ? En fait, l'assassin se construit sa vérité à partir du mensonge, avec une objectivité effroyable. Le film s'arrête, avec cette idée que le crime parfait semble avoir payé, et Que le mal semble être vainqueur. Enfin tout est en suspension On ressort de la séance, avec plein de questions. En plus l'assassin s'auto justifie par ce même mécanisme, et ainsi, elle se donne son propre salut ! Bref l'assassin devient comme une Déesse !
Ce film est alors pour moi, comme un miroir du péché originel, décrit dans le Livre de la Genèse ! Le serpent pousse Eve et Adam a devenir « comme des Dieux » par le fait de manger le fruit de l'Arbre. Or ici, la psychose du crime parfait, s'additionnant à une paranoïa, font que l'assassin va petit à petit devenir « comme un Dieu » : Triomphe du mal, le mensonge devenant vérité objective, auto justification. Nous sommes dans la fiction... Imaginez ce que cela donnerait si c'était la réalité... Bonjour les relations humaines, et le règne du libre arbitre ! Ce processus adamique, filmé de manière quasi allégorique, ce péché originel actualisé au sein de l'entreprise, rend l'assassin effroyablement inhumain... Presque un monstre !
Or le film dit que c'est un crime d'amour ! Et oui... Au départ, il y a la complicité de la présidente et de sa collaboratrice... Une complicité à la limite du fusionnelle... Et puis, comme dans la Genèse, tout bascule pour Adam et Eve, il y a une chute....
Ici, également... Au bout d'une demi-heure, il y a une chutequi va mettre en branle se mécanisme effrayant. C'est un épisode d'amour qui tourne au tragique, non pas à l'insu de ceux qui s'aiment, mais généré par eux-mêmes !
En effet, au bout de 3 minutes, dans une petite scène, il y a une déclaration : la présidente et sa collaboratrice se révèlent. Non seulement sur leur manière pas très catholique d'exercer leur vie professionnelle (détournement de fonds, manipulation, exploitation), mais sur leur sentiment réciproque. La présidente rêve qu'on l'admire... Sa collaboratrice rêve de reconnaissance et qu'on lui dise qu'on l'aime. Bref, toutes les deux désirent être aimé... La présidente déclare son amour, en demi-teinte mais ne l'assume pas... Pour la collaboratrice pleine de confusion, elle semble refouler son amour, et ne le déclare pas.... Bref un amour, non assumé et non dit.... Et ça y est, c'est la chute ! Tout bascule vers cet enfer. L'amour va se transformer en haine, en domination, en humiliation de la part de la présidente. Et du coté de la collaboratrice, il va devenir cette haine allant jusqu'au crime prémédité. Cette inversion totale est si rapide. Je dirai personnellement, que cette scène, où les deux protagonistes sont face à face, est la seule scène, où il y a des sentiments humains profonds. Et tout bascule si vite, vers cette austérité, et cette froideur mécanique. On croirait un emprunt à la mythologie grecque du personnage de Phèdre, repris et sublimé par Racine. Comment l'amour passionné peut devenir une haine dévastatrice : quelle chute ! Ce film a au moins cet avantage, de nous montrer, une manière dont on peut fabriquer des monstres, qui déshumanisent et se déshumanisent ! Je pense au livre d'Eric-Emmanuel SCHMITT : « La part de l'autre », où dans un récit de fiction il a essayé de montrer, en parallèle ce qu'aurait pu devenir Hitler, si on ne l'avait pas frustré très tôt dans son cheminement artistique, tout en montrant comment, petit à petit, il est devenu un monstre. Pour le film, si au bout de 30 minutes, nous n'avions pas eu cette scène si brève, rien de toute cette déshumanisation réciproque n'aurait eu lieu... Comme quoi, même dans la vie, tout ne tien qu'à un fil !
En sortant de ce film, je me disais vraiment que l'Evangile est une bonne Nouvelle, parce que l'exemple humain de Jésus, à travers les récits évangéliques, est un chemin d'humanisation, dont nous avons à nous inspirer. Parce que Jésus a toujours su donner la Parole qu'il faut, au moment où il faut, pour nous élever, et ôter en nous, ce « péché des origines », ce monstre qui dort. Sa Parole a toujours été libératrice, et aimante... Il a tant aimé le monde, qu'il nous a aimé jusque là !
A quand un film sur l'amour salvifique ?
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