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Recension du film "Habemus Papam" de Nanni MORETTI


Diffusée sur les ondes de Radio Jérico. Direct pour la rubrique "Paroles d'Evangile" au sein la matinale de Thierry GEORGES,

Octobre 2011.


Film sorti dans les salles en septembre 2011


Qui se souvient du brio de Michel PICCOLI lorsque, avec Claude BRASSEUR, il déclamait avec un cynisme extravagant le fabuleux « Dom Juan » de Molière, immortalisé par le cinéma, noir et blanc, joyau néo classique français.


Avec autant de dextérité le voilà qui campe le cardinal français MELVILLE, aux antipodes bien sûr du personnage de Molière.... Curieux cardinal à multiple facettes entre la bonhomie de Jean XXIII, la voix fluette et doucereuse de Jean-Paul 1er , l'angoisse intérieure de Paul VI et l'effacement humble de Benoît XVI.

Cardinal élu par hasard (on le voit même pas dans la procession d'entrée, ni même parmi les favoris de la Cour...) D'ailleurs tout comme Jean-Paul 1er... Mais qui renoncera en public à sa charge.

Finalement l'auteur du film, qui apparaissant en psychologue déjanté pris aux pièges comme les cardinaux du secret d'un conclave qui dure en fait tout le film, doit soigné le pape, qui d'ailleurs ne le verra que dans une seule scène, comique à souhait, ne durant qu'à peine 5 minutes... Il devra créer des « sasses de décompression » pour les cardinaux pris au piège d'un conclave qui dure de trop et cela à travers un tournoi de volley dans la cour intérieur du palais apostolique....

De l'oxygène s'il vous plait !

Alors que Morreti se déclare athée, il n'empêche qu'il propose un film qui est loin d'être profondément virulent et iconoclastes. 35 ans plus tôt, BRASSENS eut été plus virulent avec le pamphlet « tempête dans un bénitier ».

Je pense que nous avons à faire à une œuvre tripartite, dont la dérision se déchaîne avant tout sur le pouvoir politique et les médias : tous deux se trouvant en panne à tous les niveaux !

Dans une première partie, une reconstitution assez fidèles de l'ambiance d'un conclave : solennité, gravité, hiératisme... Avec sobriété on voit l'ambiance « ad intra » : la coupure d'avec le monde, avec la tentative échouée d'école buissonnière des évêques australiens, les chambres ressemblant à des cellules monastiques pour mieux favorisent mieux la prière et l'abnégation face à la haute responsabilité du choix.... Cette reconstitution met bien en évidence le poids de l'institution, de l'histoire, de la charge. Si le joug de Jésus est facile à porter et léger, le film, avec ses silences, ses lenteurs, ses longueurs parfois, ses interrogations montrent que le joug du successeur de Pierre est lourd, aussi rigide que les cuirasses des gardes suisses. Ceci dit, c'est positif, car on est loin de la vision paranoïaque et conspiratrice véhiculée par les médias français.

Dans une deuxième partie, je trouve que c'est une sorte de drame psychologique avec l'angoisse d'être en face de soi, avec la décision ultime... Michel PICCOLI est admirable ! Son jeu, comme sa place dans les images, le mettent toujours en situation d'autisme. En fait, il est seul face à lui-même. Même le monde réel n'est que le décor de son monologue. Il se pose la question de savoir ce qu'il va dire... Il est toujours comme « seul », cherchant désespérant la relation authentique, avoir quelque chose à dire. Le cri strident de refus, la crise d'angoisse, sa fuite,sa difficulté d'avoir une vrai dialogue, font de Michel PICCOLI le solitaire face à lui-même, où plus personne de ne peut l'aider... Est-ce que ce film traite de la dépression ? Je ne pense guère, Michel PICCOLI est trop lumineux pour cela : angoisse de la solitude, angoisse de l'acteur qui n'arrive à plus à dire son texte... Cela conduit à la troisième partie, qui à mon sens est la plus belle vision du film...

Ce film me fait penser à une réelle, longue et fascinante tragédie de théâtre : l'angoisse terrible de l'acteur, qui, devant tous, n'ayant plus les mots pour déclamer son texte, se trouvant alors incapable d'entrer dans la peau du nouveau rôle conféré. D'ailleurs nous voyons la vêture de Michel PICCOLI, en tenue de pape, avant « d'entrer en scène » pour y dire son texte... La loge de la basilique saint Pierre devient pour le film un lieu central où l'on revient souvent !

L'esthétique baroque n'a sans doute jamais été autant mise à l'honneur, le décor de théâtre n'est plus un sens figuré, mais un sens propre ! Le spectateur est alors aux premières loges de cette scène : l'entrée des artistes que représentent la longue procession des cardinaux lors du générique d'ouverture, avec le problème du texte dans le chant de la litanie, annonçant presque par anticipation, le vide de l'acteur principal qui n'aura plus de mots ! Une image revient souvent, celle des rideaux de la loge, qui agités par le vent, laisse entre apercevoir le noir, le vide, de l'intérieur... les personnages apparaissent et n'arrivent pas à dire leur textes, alors ils se retirent tous, les uns après les autres...

On film un vide, une béance, et il est vrai, que cela peut perturber notre réception... On ne saisit pas tout de suite... Au fur et à mesure du film, Michel PICCOLI en cardinal/pape découvre que dans son histoire il a été un acteur refoulé, raté à cause d'une incapacité en rentrer dans un rôle...

A ce moment les lenteurs et les longueurs prennent un sens particulier, et là, on comprend le sens de cette tragédie ! Michel PICCOLI, met en scène son échec : il devient vide... Vide de gestes, vide de textes, vide d'apparitions : on sent alors la béance se creuser en nous, et c'est dérangeant ! Et à la fin du film, lorsque l'acteur se décide enfin à entrer en scène, sur la scène de la loge du Vatican : il déclame son absence de texte, pas de paroles, pas de vides, et il se retire de la scène, et le rideau de la loge reste vide...

Le film se termine sur l'image de la loge vide, avec les rideaux au vent, et sur la béance de l'acteur principal qui a quitté la scène. Cette tragédie conduit finalement à la mort de l'auteur... Or Michel PICCOLI a déjà connu, sur cette scène la mort de l'acteur principal à la fin... Ce n'est autre que Dom JUAN, où il tombe dans l'abîme. Certes ici, il ne meurt plus en Dom JUAN, manipulateur cynique et libertin dépravé, mais comme un homme humble, qui ne veut tromper personne, et être honnête vis-à-vis de lui et des autres : il ne peut être un guide !


Quelle tragédie !!!

Face à l'angoisse du texte oublié, le rendant inapte à la mise en scène du nouveau rôle qu'on lui a confié, le comédien quitte la scène...

Finalement tout l'aspect religieux de la situation : semble être prétexte à cette tragédie. Quasiment tous les autres personnages principaux sont eux aussi en panne de textes !

Le psychologue, sa femme, le journaliste principal de la télévision, le Porte Parole du Vatican : Tous sont en panne ! Quelle tragédie du pouvoir et des médias aujourd'hui...

L'absence de mots pour incarner leur rôle.

Absence de mots de l'institution qui se démembre et qui quitte la scène.

Absences de mots des médias, qui flattent mais pour ne rien dire.

Quel constat sur le monde politique et le monde des médias pour l'auteur... BEANCE : qui a quelque chose à dire ? Qui aujourd'hui incarne-t-il quelque chose de consistant ?


Certes, c'est une vision humaine, trop sans doute... Mais on ne peut reprocher à un cinéaste qui se dit athée de rendre Dieu complètement absent, et de l'oublier, même chez lui dans la maison.

Alors les néo ultramontain, peut être s'abstenir. De même que le chapitre du choix, de l'acceptation de la charge et de la responsabilité, est rendu de manière trop humaine, et trop horizontale. C'est comique et caricatural à souhait certes, mais cela manque de verticalité.

Trop de pression altère la liberté ici. En sommes, ce film, véritable tragédie de théâtre devient une sorte d'allégorie de la béance de consistance du pouvoir politique et des médias : il ne reste que la place vide d'un acteur trop honnête, qui se retire pour ne pas faire semblant...

Si Sganarelle criait avec une ironie aigre-douce à son maître Don JUAN tombant dans l'abîme : « mes gages ! Mes gages ! » Alors, face à la béance suscitée par l'acteur quittant la scène du monde, on dirait bien volontiers à tous les responsables politiques et médiatiques, avec le même ton, tout aussi aigre, tout aussi doux : « Du sens ! Du sens ! »

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