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Recension du film "17 filles" de Delphine et Muriel COULIN


Diffusée sur les ondes de Radio Jérico. Direct pour la rubrique "Paroles d'Evangile" au sein la matinale de Thierry GEORGES,

Décembre 2011.


Film sorti dans les salles le 14 décembre 2011


"Voici l’un des derniers films sortis cette semaine.

Un film qui me laisse très interrogatif, car on se sait qui est visé dans l’histoire ?

Un film troublant, parce qu’on peut l’interpréter de deux manières.

Il est vrai qu’après l’avoir regardé on peut être assez facilement pris par un sentiment de dégoût.

Oui, je dis bien de dégoût, car quel gâchis ! Face à une jeunesse que l’on pourrait qualifiée d’irresponsable, d’inconséquence.


Pensez donc ! Des filles qui, entre elles, veulent tomber en enceinte parce qu’une de leur camarade est enceinte suite à un problème de préservatif.

Elles auront les enfants en manipulant les garçons comme de vulgaires géniteurs qu’elles mettront sur le fait accompli, en s’en fichant presque puisque ces derniers n’apparaissent jamais dans la film !

Elles agiront contre le gré des parents, contre l’autorité éducative.

Elles continueront de faire la fête, de boire et de fumer pendant la grossesse.

Elles feront n’importe quoi, même de petites fugues en subtilisant les voitures des parents...

Et puis le drame arrive parce que l’héroïne principale, face à un excès dans sa conduite, se provoquera un petit accident au bord de l’océan, déchirant le placenta et conduisant à la mort de son enfant.

Face à ce constat, on pourrait s’écrier avec brio, comme tous bons parents qui se respectent : « Quel âge bête ! » La bêtise des actes prouve cette immaturité !

On pourrait en rester là, et penser que ce film ne vaut pas la peine et en sortir énerver face à cet « âge bête »....

Mais il y a un détail qui fait tâche...

Se sont les derniers mots du film « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans... et personne ne pourra nous empêcher de vivre. »

« On est pas sérieux quant on a 17 ans » n’est autre qu’un poème d’Arthur RIMBAUD... Et alors on se souvient qu’au début du film, lorsque nous découvrions l’héroïne dans sa chambre, ce n’est autre qu’un portrait de RIMBAUD que l’on voyait au même niveau, perdu au milieu d’une parcelle de mûr de photos.

Cet effet d’anadiplose, voyant le portrait de RIMBAUD au début, puis à la fin l’emblème d’un de ses poèmes, change complètement la donne...

Et si nous étions trompé dans la perception du film ?

Et si nous nous étions complètement mépris dans sa réception, en prenant trop vite les réactions, les attitudes et le rôle des parents, qui n’ont de cesse de se méprendre eux-mêmes sur leurs adolescents?

Avec la phrase finale, une question se pose : Au bout du compte, qui sommes-nous lorsque nous regardons ce film, et que nous avons de tels sentiments de dégoût et de gâchis? De quel coté sommes-nous ? Et cela peut tout changer !

Voici le texte du poème d’Arthur RIMBAUD.... Autant le lire... Avant de poursuivre le commentaire du film, et d’entreprendre un nouvelle réception....

« On est pas sérieux quant on a dix sept ans »

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -

A des parfums de vigne et des parfums de bière....

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon

D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête....

III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,

Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif....

- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.

Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.

- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...!

- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade..

- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud, le 29 sept. 1870.

Texte du recueil confié à Paul Demeny, fac-similé Messein.

Première publication dans Le Reliquaire, éditeur Genonceaux, novembre 1891.

A présent, écoutez donc comment Léo FERRE, chanter ce poème et s’accompagnant lui-même au piano... Cela lui donne un relief qui je crois, peut nous émerveiller...

A noter que l’image d’Arthur RIMBAUD, sur le lien, n’est autre que l’image qui apparaît à coté de l’héroïne au début du film.



Le génie de Léo FERRE a été de rendre compte de l’acte poétique d’Arthur RMBAUD, qui essayait de se démarquer du romantisme. Une poésie plus dépouillée dont l’élan amoureux sort des sentiers battus des tragédies romanesques et des longues déclarations.

Curieuse façon de parler de l’expérience amoureuse que ce poème « On est pas sérieux quant on à 17 ans »...


Voilà une INSOUCIANCE !!!

Une belle insouciance... Surtout résumé dans le dernier vers...

Si l’on n’est pas sérieux, ce n’est pas la faute de l’âge mais c’est la faute des tilleuls qui étaient sur la route, conduisant à la première expérience amoureuse !

Quelle excuse ! Mais voilà une belle définition du mot INSOUCIANCE....

Et le film, comme le poème, commence et traduit cette INSOUCIANCE : ces jeunes filles, ont 17 ans et en plus elles sont symboliquement 17 !

Il se termine par cette même INSOUCIANCE : mais comme pour RIMBAUD, elle n’est pas la faute de leur âge, mais nouveauté de leur envie de VIVRE !

Si l’on est insouciant, ce n’est pas cause de la jeunesse, mais à cause de l’envie d’EXISTER, de VIVRE, et dans ce film : de DONNER LA VIE !


Une nouvelle question vient alors : Est-ce une INSOUCIANCE que de vouloir, dans la société que nous connaissons, donner la vie coûte que coûte ?

DONNER la VIE pour être libre !

DONNER la VIE pour s’affranchir d’un « mort ».

DONNER la VIE pour respirer !

DONNER la VIE pour manifester un triomphe sur la fatalité, le destin ?

Finalement, le film est construit comme le poème et l’on pourrait au travers de chaque vers y trouver un écho en image...

Déjà l’INSOUCIANCE est filmée de près !

En effet les séquences sont courtes, rapprochées, en quasi gros plan sur ces 17 filles qui veulent avoir une enfant.

Les parents, le monde des adultes, le décor du lycée, tout semble presque anecdotique, et je dirai même lointain...

Les murs du lycée donnent une perspective très profonde, floue... Les adultes parlent tellement peu qu’ils semblent d’un autre monde parallèle à celui de ces 17 filles.

Non seulement la vie « prend forme » en elle par la maternité, mais en plus leur vie « prend forme » : leur monde advient peu à peu. Elles accouchent d’elle-même par ce choix insouciant !

Bref, on filme de près la vie adolescente : on filme l’insouciance de cet âge ! Et ce n’est pas un mal, au contraire : cette insouciance est l’expression de tous les possibles ! C’est en étant insouciant comme elles que finalement l’avenir peut advenir !

Est-ce alors un âge si « bête » ? Je pense que non ! C’est celui de tous les « possibles » !


Tout comme le premier couplet du poème, on voit ces 17 filles... Qui par leur désir insouciant d’avoir un enfant, veulent quitter leur « monde tapageur » : celui de la violence de leurs parents, celui d’une ville de Bretagne en crise économique, celui des adultes qui font tout pour dissuader de « donner la vie » !

Vous rendez-vous compte que le proviseur, afin d’éduquer et d’inciter à la non procréation, va jusqu’à montrer un film de l’acte d’accouchement !

Comment peut-on faire de ce moment le plus beau dans la vie d’une personne, tant pour le père qui peut le voir, que de la mère qui donne naissance, un instrument pour dissuader les adolescents : quelle éducation sexuelle et affective ! J’ose le dire : un ECHEC ! Comme si cette éducation se résumait à donner uniquement des moyens de contraception pour ne pas avoir d’enfant!

Comment peut-on éduquer ce qui permet de transmettre la vie, en instrument de « non vie » ? Comme si les parents étaient déjà des frustrés ! Des ménopausées et des andropausés avant l'heure! Comme des morts, qui sont encore obligés de vivre, et de semer la mort autour d’eux ?

Il y a de quoi être choqué lorsqu’on entend, de la bouche de femmes : « Si tu as un enfant, c’est que deviendras chômeuse ».... Et le sommet : « Avoir un enfant, est la pire chose qui puisse arriver à une femme »... Comme ne pas être ulcéré par ses propos abjects et ce cynisme, caricaturant certains idéaux des mouvement féministes radicaux de l’après guerre et de 1968.


Face à cela, ces 17 filles font les rebelles !

On dirait dans ce film que les parents sont devenus comme une sorte de « vampires » ! Et ces filles font tout pour s’échapper à leurs griffes, à une sorte de mort...

Leur INSOUCIANCE est alors comme une fuite de la mort ! Alors, elles ont raison d’être INSOUCIANTES !

Tout comme le deuxième couplet du poème.... On peut voir ces 17 filles, en dehors de la ville... Non pas sous un tilleul, mais au bord de l’océan...

De ce lieu, elles rêvent...

Elles vont courir....

Elles vont faire la fête....

C’est là, dans la nuit, sous un ciel à peine étoilé, celui que l’on peut saisir dans le poème à travers les branches du tilleul, qu’elles vont assouvir leur instinct d’insouciance... Où elles vont concevoir leur bébé tant désiré et sans le consentement de l’homme, réduit à un géniteur que l’on va choisir au gré de la pulsion du moment.... Insouciance de ne pas se protéger...

C’est là également que l’alcool va leur monter à la tête... Non plus du champagne comme dans le poème... Et au lieu de sentir aux lèvres un baiser, elles vont sentir en elles cette pulsion de vie, de vouloir avoir la vie en elle, de vouloir donner la vie...

En cela, on les voit divaguer !!!

Insouciance totale que de vouloir un enfant, sans le consentement explicite de l’autre ! INSOUCIANCE que de penser la procréation en terme de privatisation affective!


Mais c’est toujours dans ce même lieu, que sous l’effet de l’alcool la divagation va conduire au drame...

L’accident qui provoquera la déchirure du placenta et ainsi la fuite de la vie...

Celui ou celle que l’on a jamais vu puisque l’héroïne n’a pas voulu le savoir....

L’enfant inconnu dont on sait juste qu’il était tellement désiré....

Quel drame qu’un enfant si désiré ne puisse pas naître...

Alors que nous savons combien d’enfants qui sont nés, mais qui hélas ne sont pas toujours désirés...

Tout comme le troisième couplet du poème... C’est jeunes filles, sont loin d’avoir les cols effrayants de leur père.

Au contraire, au fur et à mesure du film...

Au fur et à mesure que leurs corps se transforment, le dialogue souligne l’AFFRANCHISSEMENT !

Elles veulent s’affranchir des modèles familiaux qu’elles rencontrent.

En sommes, elles veulent s’affranchir des modèles des parents et de l’autorité qui sont décrits dans le film; à savoir des adultes qui refusent la vie, qui refusent la naissance comme un obstacle !

Bref, elles s’affranchissent petit à petit de cette vision ! La vision de l'enfant dans la société d'aujourd'hui en Europe occidental!


Voilà, à mon sens, la pointe du film : Quel pied de nez extraordinaire au "monde des adultes", tel que nous le connaissons aujourd’hui !

Un gigantesque pied de nez aux manières pédagogiques de traiter de la question sexuelle et affective depuis près de trente années.

C’est finalement un AFFRANCHISSEMENT de la mort !

Voilà l’insolence des adolescents : ils veulent s’affranchir de la mort qui déjà fait son œuvre dans le cœur des adultes :

L’INSOLENCE, l’INSOUCIANCE des adolescents est tout simplement de VOULOIR VIVRE !

Et la grossesse est alors présentée comme la manifestation du désir de vivre des adolescent ! C’est une source et un moyen d’EXISTENCE pour eux !

Et pourtant, ces pauvres filles sont « naïves »... Comme si tout allait pouvoir se passer comme leur désir....

Et lorsque la réalité de la mort de l’enfant qu’attendait l’héroïne passe par là, tout bascule vers un désenchantement...

Enfin, tout comme pour le quatrième couplet du poème... L’amour fait que les amis s’en vont, et que l’on est de mauvais goût...

Alors ces filles, dans leur quête amoureuse d’avoir et de chérir un enfant, font que les amis s’en vont et qu’on les regarde de travers...

Lorsque la mort de l’enfant de l’héroïne frappe, là aussi, leur amitié se disloque... On ne sait ce que devient cette fille....

Comme si aux yeux des autres, elle avait honte, qu’elle-même alors devenait une fille de « mauvais goût »... Tout cela pour avoir cru que la grossesse serait un épanouissement personnelle de sa féminité, vers la vie adulte et sa responsabilité.

Se pose alors cette question: est-ce que la grossesse et l’enfantement sont vraiment ce qui manque à l’épanouissement de la femme, et au passage complet de l’adolescence vers la vie adulte ?

Toutes ces questions, cette trame d’Arthur RIMBAUD, font que ce film est loin d’être dégoûtant !

Il est dégoûtant si on laisse trop vite s’exprimer "l’adulte prématuré" qui sommeil en nous et si on reçoit ce film dans cette perspective !


Or ce film est une ode en faveur de l’adolescence et de son extraordinaire insouciance !

Nous avons à le recevoir, avec ce "cœur d’adolescent" que n’avons toujours, mais que nous cachons parce que nous avons peur de vivre !

Ce film met en scène les questions délicates de l’adolescence pour aujourd’hui....

Oui, il peut nous agacer....

Tout comme les adolescents...

Et ces « 17 filles »...

Pourquoi ?

Parce qu’ils sont jeunes et que nous sommes trop tôt vieux t !

Parce qu’ils sont plein de vie, et que nous sentons déjà la mort !

Parce qu’ils s’émerveillent et que nous désespérons !

Parce qu’ils veulent vivre, et que nous avons peur de mourir !

Parce qu'ils veulent DONNER LA VIE, et que nous nous efforçons de la retenir captive!

On les trouve « bête », parce que nous ne sommes plus assez insouciant !

A vous de voir ce film et vous faire une idée !

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