Oecuménique... Vous avez dit oecuménique ? (02)
- bohleremmanuel
- 30 juil. 2021
- 15 min de lecture
Article initialement publié le 03 février 2012 sur le blog collectif "Vatican II : Objectif 50 ans" dont les finalités étaient de préparer le Jubilé d'or de cet évènement majeur pour l'Eglise au XXème siècle, de promouvoir son histoire et ses textes.
Cet article propose une synthèse organique et une analyse théologique de points essentiels du Décret sur l'oecuménisme "Unitatis redintegratio", promulgué le 21 novembre 1964 lors de la 3ème session du Concile.
La création de ce blog collectif se situait dans la dynamique de la Lettre apostolique "Porta Fidei" du pape Benoît XVI datant du 11 octobre 2011. Par cette Lettre était promulguée la prochaine "Année de la foi" qui devait s'ouvrir le 11 octobre 2012 en même temps que le Jubilé d'or de l'ouverture du Concile Vatican II.

Patriarche oecuménique Bartholomée Ier de Constantinople
A la date du 25 janvier 1959 Jean XXIII annonce son désir de voir se rassembler un Concile œcuménique… Dans les articles précédents[1], nous avons pu mettre en relief les tenants et les aboutissants de ce texte.
25 JANVIER... FETE LITURGIQUE DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL
L’exemple reste un modèle pour l’Eglise.
Il est d'ailleurs à noter que c’est la seule fête du calendrier liturgique qui met aussi bien en exergue une conversion !
L’oraison de la liturgie d’ouverture disant : « Dieu qui a instruit le monde entier par la parole de l’Apôtre saint Paul dont nous célébrons aujourd’hui la conversion, accorde nous d’aller vers toi en cherchant à lui ressembler et d’être dans le monde, les témoins de ton Evangile[2]... », nous met dans une double perspective : à la fois se rapprocher de Dieu en « imitant » l’apôtre des nations, mais en même temps, "aller vers" le monde pour être témoin de l’Evangile.
Dans les articles précédents[3] nous avions pu voir comment Jean XXIII met l’Eglise sur un chemin paulinien, en particulier avec la triple thématique issue de la Lettre aux Romains : Vérité-Unité-Paix. Cette fondation paulinienne s'exprime non seulement par la décision d’annoncer le futur du concile mais également par la manière de la mettre en acte !
A travers l’oraison liturgique de la fête de saint Paul nous avons, comme en résumé, l’intégralité de la démarche conciliaire énoncée par le terme « aggiornamento ». A savoir, se « rapprocher de Dieu » par l’approfondissement et la redécouverte du dépôt de la Foi. Mais en même temps « aller vers le monde » pour que le dépôt de la Foi ainsi retrouvée puisse être annoncée avec fidélité dans le monde de ce temps.
Lors de l’inauguration, le 11 octobre 1962, Jean XXIII dira dans son allocution : « ...Ce qui est très important pour le Concile œcuménique, c’est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d’une façon plus efficace... ».
La démarche conciliaire puise son sens dans l’action liturgique même de la Conversion de saint Paul !
25 JANVIER... CLÔTURE DE LA SEMAINE DE PRIERE POUR L'UNITE DES CHRETIENS
Ce choix de Jean XXIII semble évident : le Concile œcuménique sera une œuvre en faveur l’unité des chrétiens !
Mais cette idée ne sera pas la seule vision du bon pape Jean. Sa lettre à l’évêque de Trêves du 22 février 1959 que nous avons commentée[4] le démontre bien.
Mais cette œuvre pour l'unité des chrétiens sera inscrite dans les textes conciliaires !
VISION SYNTHETIQUE DU DECRET SUR L'OECUMENISME "UNITATIS REDINTEGRATIO"
En date du 21 novembre 1964, lors de la troisième session du Concile, le Décret sur l'œcuménisme « Unitatis redintegratio[5] » sera voté à 2137 voix contre 11.
Ce décret fait partie de l’ensemble de la troisième session du Concile, qui fût une session résolument ecclésiologique, c'est-à-dire centrée sur la compréhension du mystère de l’Eglise.
Le même jour furent signés la Constitution dogmatique sur l'Eglise « Lumen Gentium[6] » donnant les bases du renouvellement de l’ecclésiologie ainsi que le Décret sur les Eglise orientales catholiques « Orientalium ecclesiarum[7] ».
Faisons déjà un « arrêt sur image » sur cette troisième session. Son caractère ecclésial étant fort, nous montre que l’œcuménisme s’insère étroitement dans la pensée théologique de l’Eglise.
L’œcuménisme n’est pas une option amicale de relations fraternelles. Au contraire pour « penser l’Eglise » et pour tenter de la définir, cette démarche n’est pas un repli identitaire mais porte en elle-même une ouverture et une relation à l’autre !
Si nous regardons l’organisation du texte nous avons : un préambule (01 numéro), les principes catholiques de l’œcuménisme (03 numéros), l’exercice de l’œcuménisme (08 numéros), les églises et les communautés ecclésiales séparées du Siège Apostolique (11 numéros). Tout cela nous montre la pédagogie du Concile :
On pause les soubassements théologiques, en particulier en lien avec l’ecclésiologie.
On tente ensuite de définir une manière d’agir, une sorte « d’éthique œcuménique ».
On tente enfin de dresser un bilan respectueux des relations entre l’Eglise Catholique et les autres Eglises chrétiennes, afin de mettre en lumière les points de divisions au niveau de la foi et de la structure ecclésiale.
On peut entendre de temps à autres des réactions au sein de l’institution ecclésiale, regardant de très haut les Décrets avec une sorte de dédain, préférant uniquement se concentrer sur les Constitutions dogmatiques. Or cette perception est trop réductrice !
Or les textes du Concile sont à prendre en totalité, à chacun selon son rang, et pas uniquement par parcelles, tout aussi importantes soient-elles. Il convient d'avoir une vision organique et dynamique de l'ensemble. Ce que propose justement le travail de réappropriation méthodologique définit et encouragée par Benoît XVI à travers le concept "d'herméneutique de la réforme".
ANALYSE DE QUELQUES LIGNES FORTES DU PREAMBULE
Dans le préambule par exemple, il est écrit dès les premiers mots du Décret :
« ...Promouvoir les restaurations de l’unité entre tous les chrétiens est l’un des buts principaux du saint concile œcuménique de Vatican II[8]. »
Peut-on être plus clair ? Aujourd’hui, on perçoit le désir de retrouver la théologie du Concile, avec cette idée « d’herméneutique de la continuité ». Mais hélas avec des fins qui de temps à autre se révèlent comme une sorte de repli identitaire s'adjoignant dans des cas extrêmes de durcissements des positions.
Or si nous voulons vivre cette « continuité » tant recherchée et encouragée par Benoît XVI avec sa rigueur intellectuelle, nous ne pouvons faire fi de cette citation !
Si le concile a eu pour un de ces buts principaux d’œuvrer à l’unité des chrétiens, nous ne pouvons aujourd’hui nous replier sur nous-même et recreuser une sorte de douve pour nous protéger !
On ne peut vivre le jubilé du Concile en se durcissant ! Si l’on vient à le faire, alors nous sommes en « rupture » manifeste avec l’héritage du concile !
Travailler aujourd’hui à l’unité des chrétiens est la continuité même de l’œuvre souhaitée par le concile.
Le préambule se termine en disant :
« ... Voilà pourquoi, le concile, considérant avec joie tous ces faits, après avoir déclaré la doctrine relative à l’Eglise, pénétré du désir de rétablir l’unité entre tous les disciples du Christ, veut proposer à tous les catholiques les secours, les orientations, et les moyens qui leur permettront à eux-mêmes de répondre à cet appel divin et à cette grâce.[9]»
Peut-on encore être plus clair !
Le Décret fait référence explicite à la constitution dogmatique « Lumen Gentium », votée et promulguée le même jour. Cette constitution, exposant une « mise à jour » théologique et renouvelée de la présentation de l’Eglise en tant que mystère a pour conséquence pastorale pratique, une promotion et une œuvre en faveur de l’unité des chrétiens !
Le concile, à travers ce Décret, propose aux catholiques une orientation pastorale ! On ne peut aujourd’hui, recevoir et se réapproprier la constitution dogmatique « Lumen Gentium » pour témoigner un repli identitaire et un durcissement des positions ! Bien sûr qu'il faut être fidèle et continuer d'approfondir ce texte si riche. Bien sûr qu'il faut lutter contre les erreurs d'interprétations. Mais si la réappropriation théologique de « Lumen Gentium » conduit les ministres ordonnés et les fidèles laïcs à un repli sur eux-mêmes alors nous opérons une « rupture » manifeste avec l’intention du Concile !
Il semble évident pour les Pères conciliaires, en donnant aux chrétiens une remise à jour de l’identité de l’Eglise, de ne pas avoir dans l’idée une nouvelle crispation sur cette même identité !
Au contraire l’identité ecclésiale résolument "catholique" proposée par « Lumen Gentium » est une base en vue d’un dialogue œcuménique à encourager ! Mais comment guider ce dialogue ? A partir de quels fondements ? Quel serait l'état d'esprit de ce dialogue ? Y-aurait-il une éthique du dialogue œcuménique ?
ANALYSE DE QUELQUES LIGNES FORTES DES APPLICATIONS DES PRINCIPES CATHOLIQUES DE L'OECUMENISME
Les trois numéros (2-4) qui constituent les principes catholiques de l’œcuménisme sont une magnifique synthèse de la constitution dogmatique « Lumen Gentium ».
Comme pour la Constitution dogmatique "Lumen Gentium", le numéro deux du Décret est une admirable synthèse scripturaire de l'Histoire du Salut présentant l'unité comme un "mystère", c’est-à-dire fondé dans la personne du Christ :
"…Tel est le mystère sacré de l’unité de l’Église, dans le Christ et par le Christ, sous l’action de l’Esprit Saint qui réalise la variété des ministères. De ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes, l’unité d’un seul Dieu Père, et Fils, en l’Esprit Saint[10]."
Comme pour l'Eglise, la question de l'unité n'est plus uniquement une question institutionnelle ou hiérarchique. La force du Concile aura été de renouveler cette dimension mystérique, à la fois christologique et pneumatologique. Si l'Eglise est "une" c'est par et dans le Christ. Si l'Eglise est "mystère de communion" c'est par le don de l'Esprit. C'est un authentique renouvellement dans la Grâce !
Appuyé sur une herméneutique de l'Ecriture, si le Décret fonde le mystère de l'unité comme miroir de l'unité trinitaire, ce dernier, grâce au don de l'Esprit se manifestera dans la personne même du Fils où la volonté du Père se révèle aux hommes.
Toujours appuyé sur l'Ecriture, le Décret expose une dynamique de continuité historique et temporel : le mystère de l'unité, accordé par le Christ grâce au don de l'Esprit de Pentecôte se perpétuera, se prolongera, se manifestera dans l'histoire à travers la succession apostolique. Il est écrit à ce propos :
"…Mais pour établir en tout lieu son Église sainte jusqu’à la consommation des siècles, le Christ a confié au collège des Douze la charge d’enseigner, de gouverner et de sanctifier (Mt 28, 18-20 et Jn 20, 21-23).Parmi eux, il choisit Pierre, sur lequel, après sa profession de foi, il décida d’édifier son Église ; il lui promit les clefs du Royaume (Mt 16, 19 et Mt 18, 18) et, après que l’apôtre lui eut donné l’attestation de son amour, il lui confia toutes les brebis pour les confirmer dans la foi (Lc 22, 32) et pour les paître en unité parfaite (Jn 21, 15-17), Jésus Christ lui-même demeurant éternellement la suprême pierre angulaire (Ep 2, 20) et le Pasteur de nos âmes (1 P 2, 25).[11]"
Autrement dit, le mystère éternel de l'unité se manifeste à travers la succession apostolique qui elle est liée au temps et à l'histoire. Cette notion complexe de succession apostolique a d'ailleurs été largement développée au sein de la Constitution dogmatique "Lumen Gentium"[12].
Le numéro trois du Décret est quant à lui un résumé historique des divisions au sein de l’unité de l’Eglise. Cette vision historique est une base théologique très importante pour comprendre le mouvement œcuménique. Il y est écrit :
« ...Dans cette seule et unique Eglise de Dieu apparurent dès l’origine certaines scissions, que l’apôtre réprouve avec vigueur comme condamnables ; au cours des siècles suivants naquirent des dissensions plus graves, et des communautés considérables furent séparées de la pleine communion de l’Eglise catholique. Ceux qui naissent aujourd’hui dans de telles communautés et qui vivent de la foi au Christ, ne peuvent être accusés de péché de division, et l’Église catholique les entoure de respect fraternel et de charité. En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique. Assurément, des divergences variées entre eux et l’Église catholique sur des questions doctrinales, parfois disciplinaires, ou sur la structure de l’Église, constituent nombre d’obstacles, parfois fort graves, à la pleine communion ecclésiale. Le mouvement œcuménique tend à les surmonter. Néanmoins, justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur.[13] ».
Cette vision « historique », conséquence directe de l’Incarnation de Jésus-Christ, est capitale pour saisir un des fondements théologiques du mouvement œcuménique.
Le Décret exprime à bien des égards une conversion du regard sur ceux que l'on nomme "frères séparés". Un regard bienveillant et reconnaissant fondé dans la charité et qui correspond à une mystique singulière de la fraternité. Fraternité fondée par la Grâce baptismale. Nous sommes loin d'une fraternité politique mais plutôt d'une fraternité spirituelle, une fraternité dans la foi, une fraternité en Christ[14] !
Le Décret pose un geste fort: celui d'une forme reconnaissance du baptême au sein des autres Eglises chrétiennes.
Le mouvement œcuménique semble alors puiser sa source dans un renouvellement de la vie selon la Grâce baptismale. Par elle est permis, malgré les divisions, de poser déjà ce regard bienveillant et fraternel sur l'autre pour ne plus faire de manquement à la charité.
Quant au numéro quatre de ce Décret il fait encore débat aujourd'hui. Il développe le positionnement théologique catholique de la continuité historique du mystère de l'unité présenté au numéro deux à travers la succession apostolique.
L’Eglise Catholique possède ce que l’on peut improprement nommer une « préséance historique originelle ». Ce principe évoqué par cette conception théologique suscite encore aujourd'hui bien des ambiguïtés.
Des incompréhensions se sont produites au cours des années, surtout pendant le Jubilé de l'an 2000 avec le texte du Cardinal Joseph Ratzinger « Dominus Jesus[15] », écrit lorsqu’il était Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi. Face à bien des incompréhensions et certaines interprétations tendancieuses de ce Décret conciliaire, il rappelait ce principe théologique important à savoir que l’unité de l’Eglise « subsiste » dans l’Eglise Catholique. Ce texte du cardinal Joseph Ratzinger ne fait que redire et commenter avec une précision à la fois sémantique et théologique une citation textuelle du numéro quatre du Décret où s'exprime avec clarté le principe catholique de l'œcuménisme :
« ... Cette unité, le Christ, l’a accordée à son Eglise dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Eglise Catholique, et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles.[16] ».
Dans son contexte scripturaire le verbe « subsiste » n’est pas à comprendre au sens restrictif comme on le fait encore trop souvent hélas. Il souligne plutôt cette "préséance historique originelle" qu'il ne faudrait ni relativiser, ni durcir. D'ailleurs la subtilité théologique de ce concept mériterait qu'on le développe tant il est compris souvent négativement.
L'adjectif théologique inamissible, qui se traduit par "qui ne peut se perdre", renforce la dynamique de l'unité comme un don de Dieu. Si l'unité "subsiste" et "ne peut se perdre" c'est par la Grâce de Dieu, par le don de Dieu et non par une contingence institutionnelle temporelle. La "préséance historique originelle" relève donc de la Grâce éternelle et fondatrice accordée par la volonté du Christ grâce au don de l'Esprit, et pas uniquement d'une vénérabilité temporelle d'une institution.
Ce Décret place vraiment la question de l'unité sous le registre d'une théologie de la Grâce mais manifestée au sein d'un contingence temporelle.
Pour l'Eglise Catholique, l'assurance de la pérennité de cette Grâce originelle qui accorde l'unité repose sur la succession apostolique dans l'histoire. Par la succession apostolique est assurée cette continuité historique entre l'Eglise instituée par le Christ et l'Eglise Catholique.
Le verbe "subsister" exprime avant tout cette dynamique de continuité historique de la Grâce par le biais de la succession apostolique. En tous cas ce verbe "subsister" n’implique pas une sorte de soumission des autres confessions chrétiennes, ni même aux catholiques de se croire sans péchés et imbus d’eux-mêmes. Il n'exprime certainement une vision restrictive fermée et exclusive, bien au contraire ! La Déclaration Dominus Jesus propose une herméneutique conciliaire du "subsistit in" en disant :
"…Par l'expression subsistit in, le Concile Vatican II a voulu proclamer deux affirmations doctrinales : d'une part, que malgré les divisions entre chrétiens, l'Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique ; d'autre part, « que des éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures », c'est-à-dire dans les Églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Église catholique.[17]"
Loin des idées restrictives, cette « préséance historique originelle » implique une conversion permanente, une vie de discernement selon la Grâce, un regard bienveillant et aimant vers autrui comme exprimé au numéro trois, surtout lorsque le même numéro quatre dit quelques lignes plus loin :
« ... Néanmoins ses membres n’en vivent pas avec toute la ferveur qui conviendrait... C’est pourquoi, tous les catholiques doivent tendre à la perfection chrétienne.[18]»
Même si cette « préséance historique originelle » est un argument théologique fort et essentiel dont le numéro quatre en livre une limpide synthèse qu’il conviendrait toujours d’approfondir, il n’empêche que le document ouvre à une éthique pour la pratique de l’œcuménisme.
Cette éthique semble prendre sa source dans ce renouvellement théologique de la Grâce baptismale pour tendre vers la perfection chrétienne. Cette éthique est le fruit d'une conversion intérieure. Elle prévaut non seulement envers les protestants, les orthodoxes, les anglicans, et autres confessions chrétiennes, mais aussi envers ceux que l'on enferme trop rapidement sous le vocable de "traditionalistes" ! Le même numéro quatre dit :
« ... Conservant l’unité dans ce qui est nécessaire, que tous, dans l’Eglise, chacun selon sa fonction qui lui est départie, gardent la liberté que de droit, qu’il s’agisse des formes diverses de la vie spirituelle et de la discipline, de la variété des rites liturgiques, et même de l’élaboration théologique de la vérité révélée, et qu’en tout ils pratiquent la charité. De la sorte, ils manifesteront toujours plus pleinement la véritable catholicité et apostolicité de l’Eglise.[19] »
ANALYSE DES QUELQUES LIGNES DE L'EXERCICE DE L'OECUMENISME
Pour terminer la présentation de ce décret, la partie intitulée « Exercice de l’œcuménisme » exprime avec beaucoup de sagesse, de pondération, et de lucidité, la tâche au combien exaltante mais complexe de l'unité des chrétiens.
Alors que le numéro quatre de ce Décret expose une affirmation doctrinale précise quant à la continuité historique du mystère de l'Unité, accordée par le Christ grâce au don de l'Esprit, à travers la succession apostolique ; comme le préconisait Jean XXIII, ce même Décret va proposer de sages ordonnancements que nous trouvons au sein du troisième chapitre (numéros 5-12). Ce Décret propose à la fois une solide réflexion biblique et théologique, mais permet en outre un renouvellement spirituel.
Outre celui d'une forme de reconnaissance du baptême au sein des autres Eglises chrétiennes, s'il en est un point que l'on peut également retenir et qui appuie notre analyse, c'est celui de la conversion du cœur (numéro sept) !
L'analyse sémantique des termes théologiques "subsistit in" et "inamissible" nous ont amené à considérer comme conséquence cette conversion intérieure nécessaire pour être renouvelé dans la Grâce baptismale et avoir le regard assez pur pour discerner.
Appuyé sur l'Ecriture, le Décret a l'audace de dire que le mouvement œcuménique est un mouvement qui présuppose une conversion intérieure, une vie selon la Grâce. C'est ainsi exprimé :
"…Il n’y a pas de véritable œcuménisme sans conversion intérieure. En effet, c’est du renouveau de l’esprit [24], du renoncement à soi-même et d’une libre effusion de charité que naissent et mûrissent les désirs de l’unité. Il nous faut par conséquent demander à l’Esprit Saint la grâce d’une abnégation sincère, celle de l’humilité et de la douceur dans le service, d’une fraternelle générosité à l’égard des autres. « Je vous conjure, dit l’Apôtre des nations, moi qui suis enchaîné dans le Seigneur, de marcher de façon digne de la vocation qui vous a été départie, en toute humilité et douceur, vous supportant les uns les autres avec patience et charité, attentifs à conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (Ep 4, 1-3). Cette exhortation s’adresse surtout à ceux qui ont été élevés à un ordre sacré dans le dessein de continuer la mission du Christ venu parmi nous « non pour être servi, mais pour servir » (Mt 20, 28).[20]"
Le mystère de l'unité accordé par le Christ grâce au don de l'Esprit semble ici indissociable du mystère de la charité trouvant son expression concrète la plus haute dans l'attitude du serviteur.
C'est un encouragement pour l'Eglise Catholique à oeuvrer, avec les autres Eglises chrétiennes", pour vivre dans la paix malgré les divisons historiques.
N'est-ce pas d'ailleurs après avoir lavé les pieds de ses disciples[21] que Jésus-Christ pria son Père pour l'unité[22] de ses disciples ?
En tous cas cette partie appelle à la patience et à la mesure dans le respect cordial et la rigueur. Par exemple, il est écrit au numéro dix :
« C’est de la formation des prêtres que dépendent surtout la nécessaire éducation et la formation spirituelle des fidèles et des religieux.[23]»
OUVERTURES
Une question capitale se pose alors... Est-ce que l’enseignement de l’ecclésiologie de « Lumen Gentium » dans les séminaires, les universités catholiques et autres lieux de formation, incline et oriente vers cet idéal pastoral ?
En tous cas ce décret n’a pas fini de révéler ses richesses ! On ne peut qu'encourager à aller le lire, surtout si l'on côtoie d’autres chrétiens !
Si « Lumen Gentium » tente de définir ce que peut être le mystère de l’Eglise, alors « Unitatis redintegratio » nous propose une éthique ecclésiologique pour apprendre comment essayer de vivre le « mystère de l'Eglise ». A travers ce décret, nous avons une boussole sûre afin de mettre en pratique la constitution dogmatique « Lumen Gentium » !
Vatican II apparaît à ce jour comme un concile ecclésiologique !
------------------------------------------------------------------------------------------------------------- [1] Emmanuel BOHLER, 25 janvier 1959 : Importante décision du Saint-Père (02), article publié le 31 octobre 2011 et retravaillé le 25 juillet 2021. Mais également 25 janvier 1959 : Importante décision du Saint-Père (03), article publié le 8 novembre 2011 et retravaillé le 26 juillet 2021. Enfin, 25 janvier 1959 : Importante décision du Saint-Père (04), article publié le 2 décembre 2011 et retravaillé le 28 juillet 2021. [2] Missel Romain, Conversion de saint Paul, Fête, prière d'ouverture (collecte), Paris, Desclée-Mame, 1977, p.542. [3] Emmanuel BOHLER, Y aurait-il des fondations pauliennes pour le futur concile ? Article publié le 22 novembre 2011 et retravaillé le 28 juillet 2021. Mais aussi C'était l'année 59 ! (03), article publié le 20 mars 2012 et retravaillé le 29 juillet 2021. Enfin "Approfondissement des fondations pauliennes du concile", article publié le 09 octobre 2012 dans le revue "Eglise de Metz". [4] Emmanuel BOHLER, Œcuménique… Vous avez dit œcuménique ? (01), article publié le 18 janvier 2012 et retravaillé le 29 juillet 2021. [5] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, du 21 novembre 1964. [6] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l'Eglise Lumen Gentium, du 21 novembre 1964. [7] Concile Vatican II, Décret sur les Eglise orientales catholiques Orientalium ecclesiarum, du 21 novembre 1964. [8] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, N°1, du 21 novembre 1964. [9] Ibid. [10] Ibid. N°2 [11] Ibid. N°2 [12] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l'Eglise Lumen Gentium, N° 15 et 18 à 27, du 21 novembre 1964. [13] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, N°3, du 21 novembre 1964. [14]Pour aller plus loin sur cette notion de fraternité dans la foi, il y a l'ouvrage de Joseph Ratzinger, Frères dans le Christ, l'esprit de la fraternité chrétienne, publié en 1960 en Allemagne et publié en 1962 aux Editions du Cerf à Paris. Il est pertinent d'autant qu'il est quasiment contemporain de l'évènement du Concile Vatican II. Il peut nous aider à mettre en perspective cette notion fondamentale qui oriente une éthique œcuménique. [15] Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclaration Dominus Jesu, 6 août 2000. [16] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, N°4, du 21 novembre 1964. [17] Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclaration Dominus Jesu, 6 août 2000. [18] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, N°4, du 21 novembre 1964. [19] Ibid. [20] Ibid. N°7. [21] Jn 13, 1-17 [22] Jn 17, 1-11. [23] Concile Vatican II, Décret sur l'œcuménisme Unitatis redintegratio, N°10, du 21 novembre 1964.
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